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Message par Carquand Ven 12 Fév 2016 - 18:42

JE N'AI PAS PEUR DU VENT

Toi qui hurles sans gueule
Mords sans dents
Fascines sans yeux
Face creuse
Toi qui fais bondir la pantomime des ombres et des lumières
Coupes sans faux
Arraches claques et bats
Sans bras sans mains sans fouets sans fléau
Fléau toi-même vent levant du Levant
Toi qui mets le tonnerre au cœur de la forêt
Et fais courir les géants de sable au désert
Père des vagues des cyclones des tornades
Déformant d'hystérie la face de la mer
Jusqu'à la trombe
Coït de l'eau salée et du ciel sucré
Char ailé de la dame blanche reine des tempêtes de neige
Toi qui bossues les dunes
Et les dos des chameaux
Toi qui ébouriffes la crinière des lions
Qui fais gémir les loups
Et chanter les roseaux les bambous
Les sistres et les harpes
Toi qui fais tomber les pots de fleur sur les sommets des citoyens pour leur ouvrir la tête siège de la compréhension
Et descendre les avalanches dans les vallées pour les
emplir
Toi qui berces les ailes étalées du sommeil de l'oiseau
sans pattes
ui naît en l'air
Et va se suicider aux cimes coupantes du ciel
Toi qui trousses les cottes
Et dévastes les côtes
Les côtes en falaises et les côtes en os
Toi qui horripiles les peaux
Secoues les oripeaux les drapeaux les persiennes
Les plis des manteaux des voyageurs égarés les arbres
Les fantômes et les allumettes perdus dans l'immensité
Toi qui ondules les ondes et les chevelures
Fais cligner les yeux et les flammes
Claquer les oriflammes
Grand voyou chérubin démesuré
Clown des tourbillons
Sculpteur de nuages
Roi des métamorphoses
Toi qui fais vivre éperdument les choses qui sans toi
Seraient vouées à l'inertie la plus plate
Immense père des spectres et des frissons
Toi qui animes la gesticulation des rideaux mystère
Dans les châteaux hantés…

- Roger Gilbert-Lecomte

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Message par Invité Ven 12 Fév 2016 - 19:08

L'isolement

Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.

Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ;
Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ;
Là le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l'étoile du soir se lève dans l'azur.

Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon.

Cependant, s'élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs :
Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.

Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N'éprouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.

De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend. "

Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !

Que le tour du soleil ou commence ou s'achève,
D'un oeil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève,
Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.

Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts :
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire;
Je ne demande rien à l'immense univers.

Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,
Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux !

Là, je m'enivrerais à la source où j'aspire ;
Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour,
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour !

Que ne puîs-je, porté sur le char de l'Aurore,
Vague objet de mes voeux, m'élancer jusqu'à toi !
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore ?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.

Quand là feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons ;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !

- Alphonse De Lamartine

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Message par Thybo Mar 3 Mai 2016 - 9:19

Don Juan (à Maurice Nadeau) – André Fréderique

J’ai connu la décervelée d’Étampes
qui savait compter jusqu’à trois
la borgne de Paimpol
et la boiteuse de Pithiviers
qui a renoncé à la marche à pied

la bleue du Chili
qui déteint à l’eau de pluie

J’ai eu la femme tire-lire
la femme tronc la femme chien

la femme aux mains d’ébène
la femme en fer qui ne rouille pas

Lolita perroquet des îles
moitié oiseau moitié renard

la femme pendule
qui mourut par la femme canon
de sa bouche issaient les obus
qui renversèrent notre amour

la reine de Broadway
avec ses deux bouches peintes
l’orthopédiste aux dents d’alcool
qui crachait des fleurs de néant

l’amazone hagarde
qui traverse vingt centimètres de plomb

la femme aux yeux de porcelaine
qui pleurait des perles du japon
l’aveugle aux yeux de marcassite

femmes combien vous défilâtes
à mon gré

femme poisson aux seins coupés
femme aux seins superposés
femme aux seins remplacés
par des poignées
combien je vis des exotiques
et vous presque femmes
animaux équivoques
marchant dans vos traînes fragiles
sur des sabots d’argent.

La salée du Portugal
dont la bouche est un miel
mais qui pique au réveil

la fripée de Rotterdam
qui sait si bien se cacher
sous les draps
qu’on la cherche dans les plis

la calcinée de Draguignan
qui brûle tous les plastrons
quand on l’embrasse

l’explosive des Dolomites
qui ne sert qu’à vous réveiller en sursaut

l’orpheline du Canada
qui enterre sa mère tous les jeudis

la femme aux crochets
et la femme viande abattue
qui pourrit dans votre lit
si on ne lui donne pas d’argent

la créancière la marginale
la petite sœur des morts
la noyée
des mers des mares et des bassins

la hollandaise flottante
la retournable
la fiduciaire
la en vrac
l’écorchée de Bagdad
la moribonde
la Souabe
la Souasse

mais c’est toi que j’aime
ô la suivante.
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Message par Kodiak Mar 3 Mai 2016 - 10:12

Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.


Paul VERLAINE
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Message par bapt64 Mer 11 Mai 2016 - 23:02

Les roses de Saadi

J'ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les nœuds trop serrés n'ont pu les contenir.

Les nœuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées.
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir ;

La vague en a paru rouge et comme enflammée.
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée...
Respires-en sur moi l'odorant souvenir.

Marceline DESBORDES-VALMORE
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Message par Invité Sam 2 Juil 2016 - 1:45

J’étais morte pour la Beauté – mais à peine
M’avait-on couchée dans la Tombe
Qu’un Autre – mort pour la Vérité
Etait déposé dans la Chambre d’à côté –

Tout bas il m’a demandé « Pourquoi es-tu morte ? »
« Pour la Beauté », ai-je répliqué
« Et moi – pour la Vérité – C’est Pareil –
Nous sommes frère et sœur », a-t-Il ajouté –

Alors, comme Parents qui se retrouvent la Nuit –
Nous avons bavardé d’une Chambre à l’autre –
Puis la Mousse a gagné nos lèvres –
Et recouvert – nos noms


emily dickinson

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Message par Clémence Dim 10 Juil 2016 - 14:00

La quête de joie



Il dit : « Il faut partir pour conquérir la Joie.

Vous irez deux par deux pour vous garder du mal,

Par les forêts, les fleuves, par toutes les voies

Ouvertes sur les solitudes de  lumière ;

Vos bonheurs assouvis sentent déjà la cendre ;

Vous chasserez de nuit, de jour, jusqu’aux frontières

De l’âme où vous n’avez jamais osé descendre ;

Il vous faudra forcer au fond de leurs retraites,

Jusqu’au ciel de la mort, étrangement hanté,

Tout scintillants comme des joyaux de beauté,

Les Anges Sauvages de l’éternelle Fête.

Allez, vous sentirez en vous-mêmes leurs traces

Parmi les pentes d’ombre de l’autre versant,

Où le seul vent du Nord, tumultueux, les chasse

Par vols immenses, vers le Précieux Sang.



Allez, envolez-vous tels des oiseaux de proie,

Vers ces marais noyés de brouillard et de fange,

Et vous découvrirez après la mort d’un ange,

Tout ce qu’un cœur scellé peut contenir de Joie… »



Alors, ils ont suivi le fil des grandes routes

Pour s’enfoncer profondément dans les déserts,

Et bousculés de-ci, de-là, sans qu’ils sans doutent

Par le vent animal et fou de haute mer ;

Ils ont sonné les débuchés dans la lumière,

D’un bout du monde à l’autre un lancé triomphal,

Quand leurs meutes levaient un ange solitaire

Loin dans l’âme…Jamais le hallali final

Et la mort…

                    Ils se croisaient en se disant « Liesse ! »

Mais leurs regards déçus démentaient ce bonheur ;

C’était leur mot de passe : il leur tordait le cœur !      



Quête de joie ! Quête de joie ! dans leur détresse,

Ils rêvaient de trouver ces philtres enchantés

Où l’on descend aux paradis par lâcheté…



On les rencontre encor, surgissant du ciel sombre,

Tels des rôdeurs, des fous vagants des grands chemins,

Solitaires, ayant abandonné leurs chiens

De meute, haletants jusqu’à la mort dans l’ombre ;

Ils ont erré dans les déserts de la souffrance,

Dans les âmes les plus hautes et les plus claires,

Dans les plaines encor vierges de l’enfance,

Parmi la pauvreté de l’esprit, volontaire,

Où les bouffées de Dieu montent comme des vagues,

Où les amours de soi rôdent comme des loups…



Dans le choc lumineux et brutal des dégoûts,

Ils ont bien pris cet ange qui partout divague,

« L’Angelus Communis », si triste et si petit

Qu’il se laisse attraper sans déployer les ailes ;

Mais ils n’ont pas couru ce grand ange rebelle

Qui déchaîne à son passage l’âme et l’esprit,

Et bouleverse le corps comme une tempête…



On les attend toujours, mais ils ont disparu ;

Ils ont été traînés aux obscure retraites

Par des brouillards mortels où leurs pas sont perdus ;

D’autres sont descendus aux vallées les plus vaines,

D’autres, le cœur rongé de désirs impuissants,

Se sont aventurés aux source du Vrai Sang ;

Mais ils sont morts d’amour au fond de quelle impasse !

Et ceux qui revenaient, entraînant leurs conquêtes,

Ont été bousculés par la grande tempête

De décembre, qui fit tout trembler sur les cimes…



Mort de folie – dans un ravin, en fin décembre ;

Mort de froid et de vertige – sur les abîmes ;

Mort de fièvre – dans un marais, en fin décembre ;

Mort d’orgueil – si loin, sur les hauteurs de l’esprit

Après avoir blessé un ange ; mort en mer,

Mosuer, un héros, un grand ami, surpris

Par le vent ; un autre foudroyé dans les airs

Si près de la lumière qu’on l’a retrouvé

Aveugle ; mort n’importe où, Foulc, presqu’arrivé

Dont la sauvagerie ressemblait à la mienne…



Morts ! ils ont forcé les limites lointaines,

Le ciel tout boursouflé de soleil, qui flamboie

Si tristement…

                         Quête de Joie ! Quête de Joie !


Patrice de La Tour du Pin

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Message par Clémence Dim 10 Juil 2016 - 14:04

Prélude



Tous les pays qui n'ont plus de légende

Seront condamnés à mourir de froid...



Loin de l'âme, les solitudes s'étendent

Sous le soleil mort de l'amour de soi.

A l'aube on voit monter dans la torpeur

Du marais, des bancs de brouillard immenses

Qu'emploient les poètes, par impuissance,

Pour donner le vague à l'âme et la peur.

Il faut les respirer quand ils s'élèvent

Et jouir de ce frisson inconnu

Que l'on découvre à peine dans les rêves,

Dans les paradis parfois entrevus ;

Les médiocres seuls, les domestiqués

Ne pourront comprendre son amertume :

Ils n'entendent pas, perdu dans la brume,

Le cri farouche des oiseaux traqués.

C'était le pays des anges sauvages,

Ceux qui n'avaient pu se nourrir d'amour ;

Comme toutes les bêtes de passage,

Ils suivaient les vents qui changeaient toujours;

Ils montaient parfois dans le cœur  des élus,

Abandonnant la fadeur de la terre,

Mais ils sentaient battre dans leurs artères

Le regret des cieux qu'ils ne verraient plus !



Alors ils s'en allaient des altitudes

Poussés par l'orgueil et la lâcheté ;

On ne les surprend dans nos solitudes

Que si rarement ; ils ont tout quitté.

Leur légende est morte dans les bas-fonds,

On les voit errer dans les yeux des femmes,

Et dans ces enfants qui passent dans l'âme,

En fin septembre, tels des vagabonds.  



Il en est pourtant qui rôdent dans l'ombre

Et ne doivent pas s'arrêter très loin ;

Je sais qu’ils se baignent par les nuits sombres

Pour que leurs ébats n'aient pas de témoins.

- Mais si déchirant parfois est leur cri

Qu’il fige les souffles dans les poitrines,

Avant de se perdre aux cimes de l'esprit

Comme un appel lointain de sauvagine.



Et les hameaux l'entendront dans la crainte,

Le soir, passé les jeux de la chair ;

Il s'étendra sur la lande -  la plainte

D'une bête égorgée en plein hiver ;

Ou bien ce cri de peur dans l'ombre intense

Qui stupéfie brusquement les étangs,

Quand s'approchent les pas des poursuivants

Et font rejaillir l'eau dans le silence.



Si désolant sera-t-il dans les plaines

Que tressailleront les coeurs des passants ;

Ils s'arrêteront pour reprendre haleine

Et dire : c'est le chant d'un innocent !

Passé l'appel, résonneront encore

Les échos, jusqu'aux profondeurs des moelles,

Et suivront son vol, comme un son de cor,

Vers le gouffre transparent des étoiles !



Toi, tu sauras que ce n'est pas le froid

Qui déchaîne un cri pareil à cette heure ;

Moins lamentable sera ton effroi,

Tu connais les fièvres intérieures,

Les désirs qui brûlent jusqu’à vous tordre

Le ventre en deux, dans un spasme impuissant ;

Et tu diras que ce cri d'innocent,

C'est l'appel d'un fauve qui voudrait mordre…

Patrice de La Tour du Pin

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Vos poèmes préférés - Page 6 Empty Re: Vos poèmes préférés

Message par Invité Ven 13 Jan 2017 - 16:30

Il est l'affection et le présent puisqu'il a fait la maison ouverte à l'hiver écumeux et à la rumeur de l'été — lui qui a purifié les boissons et les aliments — lui qui est le charme des lieux fuyant et le délice surhumain des stations. — Il est l'affection et l'avenir, la force et l'amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, nous voyons passer dans le ciel de tempête et les drapeaux d'extase.
Il est l'amour, mesure parfaite et réinventée, raison merveilleuse et imprévue, et l'éternité : machine aimée des qualités fatales. Nous avons tous eu l'épouvante de sa concession et de la nôtre : ô jouissance de notre santé, élan de nos facultés, affection égoïste et passion pour lui, — lui qui nous aime pour sa vie infinie...
Et nous nous le rappelons et il voyage... Et si l'Adoration s'en va, sonne, sa Promesse, sonne : "Arrière ces superstitions, ces anciens corps, ces ménages et ces âges. C'est cette époque-ci qui a sombré !"
Il ne s'en ira pas, il ne redescendra pas d'un ciel, il n'accomplira pas la rédemption des colères de femmes et des gaîtés des hommes et de tout ce pêché : car c'est fait, lui étant, et étant aimé.
Ô ses souffles, ses têtes, ses courses ; la terrible célérité de la perfection des formes et de l'action.
Ô fécondité de l'esprit et immensité de l'univers !
Son corps ! Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle !
Sa vue, sa vue ! tous les agenouillages anciens et les peines relevés à sa suite.
Son jour ! l'abolition de toutes souffrances sonores et mouvantes dans la musique plus intense.
Son pas ! les migrations plus énormes que les anciennes invasions.
Ô Lui et nous ! l'orgueil plus bienveillant que les charités perdues.
Ô monde ! — et le chant clair des malheurs nouveaux !
Il nous a connus tous et nous a tous aimés, sachons, cette nuit d'hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au château, de la foule à la plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le héler et le voir, et le renvoyer, et sous les marées et au haut des déserts de neige, suivre ses vues, — ses souffles — son corps, — son jour.



Rimbaud

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Message par Invité Lun 27 Fév 2017 - 21:26



Il en tomba combien dans cet abîme
Béant dans le lointain !
Et je disparaîtrai un jour sans rimes
Du globe, c’est certain.

Se figera tout ce qui fut, - qui chante
et lutte et brille et veut :
Et le vert de mes yeux et ma voix tendre
Et l’or de mes cheveux.

Et la vie sera là, son pain, son sel
Et l’oubli des journées.
Et tout sera comme si sous le ciel
Je n’avais pas été !

Moi qui changeais, comme un enfant, sa mine
- Méchante qu’un moment, –
Qui aimais l’heure où les bûches s’animent
Quand la cendre les prend,

Et le violoncelle et les cavalcades
Et le clocher sonnant…
– Moi, tellement vivante et véritable
Sur le sol caressant.

A tous – qu’importe. En rien je ne mesure,
Vous : miens et étrangers ?! –
Je vous demande une confiance sûre,
Je vous prie de m’aimer.

Et jour et nuit, voie orale ou écrite :
Pour mes « oui », « non » cinglants,
Du fait que si souvent – je suis trop triste,
Que je n’ai que vingt ans,

Du fait de mon pardon inévitable
Des offenses passées,
Pour toute ma tendresse incontenable
Et mon trop fier aspect,

Et la vitesse folle des temps forts,
Pour mon jeu, pour mon vrai…
– Ecoutez-moi ! – Il faut m’aimer encore
Du fait que je mourrai.


Marina Tsvetaeva.

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Message par Invité Lun 27 Fév 2017 - 21:38

Il pleure dans mon coeur
Paul Verlaine

Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur ?

Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un coeur qui s’ennuie,
Ô le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui s’écoeure.
Quoi ! nulle trahison ?…
Ce deuil est sans raison.

C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon coeur a tant de peine !

Paul Verlaine
Romances sans paroles (1874)
]

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Message par Invité Mar 28 Fév 2017 - 12:10

(Je n'ai jamais encore vraiment lu Verlaine, j'ai les poèmes saturniens, feuilletez une fois, sans doute pas bon moment )

Désir

Ceci ne sera pas la dernière larme
Jaillissant brûlante de ce cœur
Qui dans une nouvelle indicible torture
S’apaise en accroissant sa douleur.

O fais moi donc partout éternellement
Eprouver l’amour,
Même si la douleur dans mes nerfs et mes veines
Sans fin doit faire rage.

Puissé-je un jour enfin, ô Eternel,
Etre rempli de toi !
Ah ! ce long, ce profond tourment,
Comme il dure sur cette terre !


Goethe

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Message par Invité Mar 28 Fév 2017 - 12:16

Comme, dans le jour qui t'a donné au monde,
Le soleil était là pour saluer les planètes, Tu as aussi grandi sans cesse,
D'après la loi selon laquelle tu as commencé.
Telle est ta destinée, tu ne peux t'échapper à toi même;
Ainsi parlaient déjà les sibylles; ainsi les prophètes;
Aucun temps, aucune puissance ne brise la forme empreint
Qui se développe dans le cours de ta vie


Goethe

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Message par Invité Mar 28 Fév 2017 - 12:34

Narkyss : je découvre Goethe et je l'avoue, ses mots trouvent écho...merci de les avoir posés.

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Message par Invité Ven 3 Mar 2017 - 3:37

À celle qui est trop gaie

Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage ;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.

Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.

Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilettes
Jettent dans l'esprit des poètes
L'image d'un ballet de fleurs.

Ces robes folles sont l'emblème
De ton esprit bariolé ;
Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t'aime !

Quelquefois dans un beau jardin
Où je traînais mon atonie,
J'ai senti, comme une ironie,
Le soleil déchirer mon sein ;

Et le printemps et la verdure
Ont tant humilié mon coeur,
Que j'ai puni sur une fleur
L'insolence de la Nature.

Ainsi je voudrais, une nuit,
Quand l'heure des voluptés sonne,
Vers les trésors de ta personne,
Comme un lâche, ramper sans bruit,

Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse,

Et, vertigineuse douceur !
À travers ces lèvres nouvelles,
Plus éclatantes et plus belles,
T'infuser mon venin, ma sœur !


Baudelaire, Les fleurs du mal, 1856.

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Message par Invité Dim 5 Mar 2017 - 18:37

Ophélie

I

Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...
- On entend dans les bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir

Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.

Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle ;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile :
- Un chant mystérieux tombe des astres d'or

II

O pâle Ophélia ! belle comme la neige !
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !
C'est que les vents tombant des grand monts de Norwège
T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté ;

C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure,
À ton esprit rêveur portait d'étranges bruits,
Que ton coeur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits ;

C'est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux ;
C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux !

Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
- Et l'Infini terrible éffara ton oeil bleu !

III

- Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis ;
Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.

Arthur Rimbaud, 1870.

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Message par Invité Sam 11 Mar 2017 - 20:13

Le chat (1)

Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux ;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d'agate.

Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s'enivre du plaisir
De palper ton corps électrique,

Je vois ma femme en esprit. Son regard,
Comme le tien, aimable bête
Profond et froid, coupe et fend comme un dard,

Et, des pieds jusques à la tête,
Un air subtil, un dangereux parfum
Nagent autour de son corps brun.

Baudelaire, 1857

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Message par Cérès Sam 11 Mar 2017 - 22:17

Ils cassent le monde
En petits morceaux
Ils cassent le monde
A coups de marteau
Mais ça m'est égal
Ca m'est bien égal
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez
Il suffit que j'aime
Une plume bleue
Un chemin de sable
Un oiseau peureux
Il suffit que j'aime
Un brin d'herbe mince
Une goutte de rosée
Un grillon de bois
Ils peuvent casser le monde
En petits morceaux
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez
J'aurais toujours un peu d'air
Un petit filet de vie
Dans l'oeil un peu de lumière
Et le vent dans les orties
Et même, et même
S'ils me mettent en prison
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez
Il suffit que j'aime
Cette pierre corrodée
Ces crochets de fer
Où s'attarde un peu de sang
Je l'aime, je l'aime
La planche usée de mon lit
La paillasse et le châlit
La poussière de soleil
J'aime le judas qui s'ouvre
Les hommes qui sont entrés
Qui s'avancent, qui m'emmènent
Retrouver la vie du monde
Et retrouver la couleur
J'aime ces deux longs montants
Ce couteau triangulaire
Ces messieurs vêtus de noir
C'est ma fête et je suis fier
Je l'aime, je l'aime
Ce panier rempli de son
Où je vais poser ma tête
Oh, je l'aime pour de bon
Il suffit que j'aime
Un petit brin d'herbe bleue
Une goutte de rosée
Un amour d'oiseau peureux
Ils cassent le monde
Avec leurs marteaux pesants
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez, mon cœur


Boris Vian

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Message par Invité Lun 13 Mar 2017 - 17:01

La Chambre double

Une chambre qui ressemble à une rêverie, une chambre véritablement spirituelle, où l’atmosphère stagnante est légèrement teintée de rose et de bleu.

L’âme y prend un bain de paresse, aromatisé par le regret et le désir. — C’est quelque chose de crépusculaire, de bleuâtre et de rosâtre ; un rêve de volupté pendant une éclipse.

Les meubles ont des formes allongées, prostrées, alanguies. Les meubles ont l’air de rêver ; on les dirait doués d’une vie somnambulique, comme le végétal et le minéral. Les étoffes parlent une langue muette, comme les fleurs, comme les ciels, comme les soleils couchants.
Sur les murs nulle abomination artistique. Relativement au rêve pur, à l’impression non analysée, l’art défini, l’art positif est un blasphème. Ici, tout a la suffisante clarté et la délicieuse obscurité de l’harmonie.

Une senteur infinitésimale du choix le plus exquis, à laquelle se mêle une très-légère humidité, nage dans cette atmosphère, où l’esprit sommeillant est bercé par des sensations de serre-chaude.

La mousseline pleut abondamment devant les fenêtres et devant le lit ; elle s’épanche en cascades neigeuses. Sur ce lit est couchée l’Idole, la souveraine des rêves. Mais comment est-elle ici ? Qui l’a amenée ? quel pouvoir magique l’a installée sur ce trône de rêverie et de volupté ? Qu’importe ? la voilà ! je la reconnais.

Voilà bien ces yeux dont la flamme traverse le crépuscule ; ces subtiles et terribles mirettes, que je reconnais à leur effrayante malice ! Elles attirent, elles subjuguent, elles dévorent le regard de l’imprudent qui les contemple. Je les ai souvent étudiées, ces étoiles noires qui commandent la curiosité et l’admiration.

À quel démon bienveillant dois-je d’être ainsi entouré de mystère, de silence, de paix et de parfums ? Ô béatitude ! ce que nous nommons généralement la vie, même dans son expansion la plus heureuse, n’a rien de commun avec cette vie suprême dont j’ai maintenant connaissance et que je savoure minute par minute, seconde par seconde !

Non ! il n’est plus de minutes, il n’est plus de secondes ! Le temps a disparu ; c’est l’Éternité qui règne, une éternité de délices !
Mais un coup terrible, lourd, a retenti à la porte, et, comme dans les rêves infernaux, il m’a semblé que je recevais un coup de pioche dans l’estomac.

Et puis un Spectre est entré. C’est un huissier qui vient me torturer au nom de la loi ; une infâme concubine qui vient crier misère et ajouter les trivialités de sa vie aux douleurs de la mienne ; ou bien le saute-ruisseau d’un directeur de journal qui réclame la suite du manuscrit.
La chambre paradisiaque, l’idole, la souveraine des rêves, la Sylphide, comme disait le grand René, toute cette magie a disparu au coup brutal frappé par le Spectre.

Horreur ! je me souviens ! je me souviens ! Oui ! ce taudis, ce séjour de l’éternel ennui, est bien le mien. Voici les meubles sots, poudreux, écornés ; la cheminée sans flamme et sans braise, souillée de crachats ; les tristes fenêtres où la pluie a tracé des sillons dans la poussière ; les manuscrits, raturés ou incomplets ; l’almanach où le crayon a marqué les dates sinistres !

Et ce parfum d’un autre monde, dont je m’enivrais avec une sensibilité perfectionnée, hélas ! il est remplacé par une fétide odeur de tabac mêlée à je ne sais quelle nauséabonde moisissure. On respire ici maintenant le ranci de la désolation.
Dans ce monde étroit, mais si plein de dégoût, un seul objet connu me sourit : la fiole de laudanum ; une vieille et terrible amie ; comme toutes les amies, hélas ! féconde en caresses et en traîtrises.

Oh ! oui ! Le Temps a reparu ; Le Temps règne en souverain maintenant ; et avec le hideux vieillard est revenu tout son démoniaque cortège de Souvenirs, de Regrets, de Spasmes, de Peurs, d’Angoisses, de Cauchemars, de Colères et de Névroses.

Je vous assure que les secondes maintenant sont fortement et solennellement accentuées, et chacune, en jaillissant de la pendule, dit : — « Je suis la Vie, l’insupportable, l’implacable Vie ! »

Il n’y a qu’une Seconde dans la vie humaine qui ait mission d’annoncer une bonne nouvelle, la bonne nouvelle qui cause à chacun une inexplicable peur.

Oui ! le Temps règne ; il a repris sa brutale dictature. Et il me pousse, comme si j’étais un bœuf, avec son double aiguillon. — « Et hue donc ! bourrique ! Sue donc, esclave ! Vis donc, damné ! »

Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose, 1869

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Message par Invité Lun 13 Mar 2017 - 19:27

Recueil : Le cœur innombrable (1901)

La mort dit à l'homme.

Voici que vous avez assez souffert, pauvre homme,
Assez connu l'amour, le désir, le dégoût,
L'âpreté du vouloir et la torpeur des sommes,
L'orgueil d'être vivant et de pleurer debout...

Que voulez-vous savoir qui soit plus délectable
Que la douceur des jours que vous avez tenus,
Quittez le temps, quittez la maison et la table ;
Vous serez sans regret ni peur d'être venu.

J'emplirai votre cœur, vos mains et votre bouche
D'un repos si profond, si chaud et si pesant,
Que le soleil, la pluie et l'orage farouche
Ne réveilleront pas votre âme et votre sang.

— Pauvre âme, comme au jour où vous n'étiez pas née,
Vous serez pleine d'ombre et de plaisant oubli,
D'autres iront alors par les rudes journées
Pleurant aux creux des mains, des tombes et des lits.

D'autres iront en proie au douloureux vertige
Des profondes amours et du destin amer,
Et vous serez alors la sève dans les tiges,
La rose du rosier et le sel de la mer.

D'autres iront blessés de désir et de rêve
Et leurs gestes feront de la douleur dans l'air,
Mais vous ne saurez pas que le matin se lève,
Qu'il faut revivre encore, qu'il fait jour, qu'il fait clair.

Ils iront retenant leur âme qui chancelle
Et trébuchant ainsi qu'un homme pris de vin ;
— Et vous serez alors dans ma nuit éternelle,
Dans ma calme maison, dans mon jardin divin...


Anna de Noailles
(1876-1933)

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Message par Invité Mar 11 Avr 2017 - 22:00

Dans un cœur brisé
Nul ne peut pénétrer
Sans la noble prérogative
D'avoir souffert de même.


E.Dickinson


Lorsque nombres et figures ne seront plus
La clef de toutes créatures,
Lorsque tous ceux qui s'embrassent et chantent
En sauront plus que les savants profonds,
Lorsque le monde reprendra sa liberté
Et reviendra au monde se donner,
Lorsqu'en une clarté pure et sereine alors
Ombre et lumière de nouveau s'épouseront,
Et lorsque dans les contes et les poésies
On apprendra l'histoire des cosmogonies,
C'est là que s'enfuira devant un mot secret
Le contresens entier de la réalité.


Novalis



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Message par Invité Jeu 18 Mai 2017 - 22:02

Ce qui m'étonne, dit Dieu, c'est l'espérance.
Et je n'en reviens pas.
Cette petite espérance qui n'a l'air de rien du tout.
Cette petite fille espérance.
Immortelle.
Car mes trois vertus, dit Dieu.
Les trois vertus mes créatures.
Mes filles mes enfants.
Sont elles-mêmes comme mes autres créatures.
De la race des hommes.
La Foi est une Épouse fidèle.
La Charité est une Mère.
Une mère ardente, pleine de cœur.
Ou une sœur aînée qui est comme une mère.
L'Espérance est une petite fille de rien du tout.
Qui est venue au monde le jour de Noël de l'année dernière.
Qui joue encore avec le bonhomme Janvier.
Avec ses petits sapins en bois d'Allemagne couverts de givre peint.
Et avec son bœuf et son âne en bois d'Allemagne.
Peints.
Et avec sa crèche pleine de paille que les bêtes ne mangent pas.
Puisqu'elles sont en bois.
C'est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes.
Cette petite fille de rien du tout.
Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus.
[...]
Mais l'espérance ne va pas de soi.
L'espérance ne
va pas toute seule.
Pour espérer, mon enfant,
il faut être bien heureux, 
il faut avoir obtenu,
reçu une grande grâce.
[...]
La petite espérance s'avance entre ses deux gran-
des sœurs et on ne prend pas seulement garde à
elle.
Sur le chemin du salut, sur le chemin charnel, sur
le chemin raboteux du salut, sur la route inter-
minable, sur la route entre ses deux sœurs la
petite espérance
S'avance.
Entre ses deux grandes sœurs.
Celle qui est mariée.
Et celle qui est mère.
Et l'on n'a d'attention, le peuple chrétien n'a d'attention que pour les deux grandes sœurs.
La première et la dernière.
Qui vont au plus pressé.
Au temps présent.
À l'instant momentané qui passe.
Le peuple chrétien ne voit que les deux grandes sœurs, n'a de regard que pour les deux grandes sœurs.
Celle qui est à droite et celle qui est à gauche.
Et il ne voit quasiment pas celle qui est au milieu.
La petite, celle qui va encore à l'école.
Et qui marche.
Perdue entre les jupes de ses sœurs.
Et il croit volontiers que ce sont les deux grandes qui traînent la petite par la main.
Au milieu.
Entre les deux.
Pour lui faire faire ce chemin raboteux du salut.
Les aveugles qui ne voient pas au contraire.
Que c'est elle au milieu qui entraîne ses grandes sœurs.
Et que sans elle elles ne seraient rien.
Que deux femmes déjà âgées.
Deux femmes d'un certain âge.
Fripées par la vie.
C'est elle, cette petite, qui entraîne tout.
Car la Foi ne voit que ce qui est.
Et elle elle voit ce qui sera.
La Charité n'aime que ce qui est.
Et elle elle aime ce qui sera.
La Foi voit ce qui est.
Dans le Temps et dans l'Éternité.
L'Espérance voit ce qui sera.
Dans le temps et dans l'éternité.
Pour ainsi dire le futur de l'éternité même.
La Charité aime ce qui est.
Dans le Temps et dans l'Éternité.
Dieu et le prochain.
Comme la Foi voit.
Dieu et la création.
Mais l'Espérance aime ce qui sera.
Dans le temps et dans l'éternité.
Pour ainsi dire dans le futur de l'éternité.
L'Espérance voit ce qui n'est pas encore et qui sera.
Elle aime ce qui n'est pas encore et qui sera
Dans le futur du temps et de l'éternité.
Sur le chemin montant, sablonneux, malaisé.
Sur la route montante.
Traînée, pendue aux bras de ses deux grandes sœurs,
Qui la tiennent pas la main,
La petite espérance.
S'avance.
Et au milieu entre ses deux grandes sœurs elle a l'air de se laisser traîner.
Comme une enfant qui n'aurait pas la force de marcher.
Et qu'on traînerait sur cette route malgré elle.
Et en réalité c'est elle qui fait marcher les deux autres.
Et qui les traîne.
Et qui fait marcher tout le monde.
Et qui le traîne.
Car on ne travaille jamais que pour les enfants.
Et les deux grandes ne marchent que pour la petite.


Charles Péguy - La petite espérance

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Message par Blackmail Mer 19 Juil 2017 - 3:06

Do not go gentle into that good night,
Old age should burn and rave at close of day;
Rage, rage against the dying of the light.

Though wise men at their end know dark is right,
Because their words had forked no lightning they
Do not go gentle into that good night.

Good men, the last wave by, crying how bright
Their frail deeds might have danced in a green bay,
Rage, rage against the dying of the light.

Wild men who caught and sang the sun in flight,
And learn, too late, they grieved it on its way,
Do not go gentle into that good night.

Grave men, near death, who see with blinding sight
Blind eyes could blaze like meteors and be gay,
Rage, rage against the dying of the light.

And you, my father, there on that sad height,
Curse, bless me now with your fierce tears, I pray.
Do not go gentle into that good night.
Rage, rage against the dying of the light.

(Dylan Thomas, le vrai Dylan... pas le musicien qui a usurpé un prix qui jamais n'aurait dû lui revenir)
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Message par Suzanne Smith Dim 6 Aoû 2017 - 3:33

Je ne suis personne ! Qui êtes-vous ?
Êtes-vous - Personne - aussi ?
Ainsi nous faisons la paire !
Ne le dites pas ! Ils le feraient savoir - C'est sûr !

Comme c'est ennuyeux - d'être - Quelqu'un
Public - comme une grenouille - 
Qui crie son nom - tout le long de juin -
À un Marécage béat !


- E. Dickinson
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Message par Tokamak Dim 6 Aoû 2017 - 4:55

.oO(dsl si déjà posté, un classique, puis j'en connais pas cinquante des poèmes XD)Oo.

Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou, perdre d’un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre
Et, te sentant haï sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leur bouche folle,
Sans mentir toi-même d’un seul mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors, les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un Homme, mon fils.


Si (Tu seras un Homme mon fils)
Poème de Rudyard Kipling (traduction André Maurois) écrit en 1910 pour son fils unique de 12 ans, John, mort en 1915 à peine âgé de 17 ans, lors de sa première bataille durant la 1ère GM.

Version originale en anglais.

Spoiler:
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Message par Invité Lun 7 Aoû 2017 - 19:03

« Rêvé pour l’hiver »

L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.

Tu fermeras l’oeil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.

Puis tu te sentiras la joue égratignée…
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou…

Et tu me diras : » Cherche ! » en inclinant la tête,
– Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
– Qui voyage beaucoup…

Arthur Rimbaud
En wagon, le 7 octobre 1870

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Message par Sapta Mer 9 Aoû 2017 - 22:36

LE CHEMIN CREUX

Le long d’un chemin creux que nul arbre n’égaie,

Un grand champ de blé mûr, plein de soleil, s’endort,
Et le haut du talus, couronné d’une haie,

Est comme un ruban vert qui tient des cheveux d’or.

De la haie au chemin tombe une pente herbeuse
Que la taupe soulève en sommets inégaux,

Et que les grillons noirs à la chanson verbeuse
Font pétiller de leurs monotones échos.

Passe un insecte bleu vibrant dans la lumière,

Et le lézard s’éveille et file, étincelant,

Et près des flaques d’eau qui luisent dans l’ornière
La grenouille coasse un chant rauque en râlant.

Ce chemin est très loin du bourg et des grand’ routes.
Comme il est mal commode, on ne s’y risque pas.

Et du matin au soir les heures passent toutes

Sans qu’on voie un visage ou qu’on entende un pas.

C’est là, le front couvert par une épine blanche,
Au murmure endormeur des champs silencieux,
Sous cette urne de paix dont la liqueur s’épanche
Comme un vin de soleil dans le saphir des cieux,

C’est là que vient le gueux, en bête poursuivie,
Parmi l’âcre senteur des herbes et des blés,
Baigner son corps poudreux et rajeunir sa vie
Dans le repos brûlant de ses sens accablés.

Et quand il dort, le noir vagabond, le maroufle
Aux souliers éculés, aux haillons dégoûtants,
Comme une mère émue et qui retient son souffle
La nature se tait pour qu’il dorme longtemps

Jean Richepin, 1881

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Message par Blackmail Dim 20 Aoû 2017 - 5:25

LES HOMMES CREUX

I

Nous sommes les hommes creux
Les hommes empaillés
Cherchant appui ensemble
La caboche pleine de bourre. Hélas !
Nos voix desséchées, quand
Nous chuchotons ensemble
Sont sourdes, sont inanes
Comme le souffle du vent parmi le chaume sec
Comme le trottis des rats sur les tessons brisés
Dans notre cave sèche.

Silhouette sans forme, ombre décolorée,
Geste sans mouvement, force paralysée ;

Ceux qui s’en furent
Le regard droit, vers l’autre royaume de la mort
Gardent mémoire de nous – s’ils en gardent – non pas
Comme de violentes âmes perdues, mais seulement
Comme d’hommes creux
D’hommes empaillés.

II

Les yeux que je n’ose pas rencontrer dans les rêves
Au royaume de rêve de la mort
Eux, n’apparaissent pas:
Là, les yeux sont
Du soleil sur un fût de colonne brisé
Là, un arbre se balance
Et les voix sont
Dans le vent qui chante
Plus lointaines, plus solennelles
Qu’une étoile pâlissante.

Que je ne sois pas plus proche
Au royaume de rêve de la mort
Qu’encore je porte
Pareils francs déguisements: robe de rat,
Peau de corbeau, bâtons en croix
Dans un champ
Me comportant selon le vent
Pas plus proche –

Pas cette rencontre finale
Au royaume crépusculaire.

III

C’est ici la terre morte
Une terre à cactus
Ici les images de pierre
Sont dressées, ici elles reçoivent
La supplication d’une main de mort
Sous le clignotement d’une étoile pâlissante.

Est-ce ainsi
Dans l’autre royaume de la mort:
Veillant seuls
A l’heure où nous sommes
Tremblants de tendresse
Les lèvres qui voudraient baiser
Esquissent des prières à la pierre brisée.

IV

Les yeux ne sont pas ici
Il n’y a pas d’yeux ici
Dans cette vallée d’étoiles mourantes
Dans cette vallée creuse
Cette mâchoire brisée de nos royaumes perdus

En cet ultime lieu de rencontre
Nous tâtonnons ensemble
Evitant de parler
Rassemblés là sur cette plage du fleuve enflé

Sans regard, à moins que
Les yeux ne reparaissent
Telle l’étoile perpétuelle
La rose aux maints pétales
Du royaume crépusculaire de la mort
Le seul espoir
D’hommes vides.

V

Tournons autour du fi-guier
De Barbarie, de Barbarie
Tournons autour du fi-guier
Avant qu’le jour se soit levé.

Entre l’idée
Et la réalité
Entre le mouvement
Et l’acte
Tombe l’Ombre

Car Tien est le Royaume

Entre la conception
Et la création
Entre l’émotion
Et la réponse
Tombe l’Ombre

La vie est très longue

Entre le désir
Et le spasme
Entre la puissance
Et l’existence
Entre l’essence
Et la descente
Tombe l’Ombre

Car Tien est le Royaume

Car Tien est
La vie est
Car Tien est

C’est ainsi que finit le monde
C’est ainsi que finit le monde
C’est ainsi que finit le monde
Pas sur un Boum, sur un murmure.


(Thomas Stearns Eliot; The hollow men -1925)
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Message par Blackmail Sam 16 Sep 2017 - 6:02

Ballade du concours de Blois


Je meurs de seuf auprès de la fontaine,
Chaud comme feu, et tremble dent à dent ;
En mon pays suis en terre lointaine ;
Lez un brasier frissonne tout ardent ;
Nu comme un ver, vêtu en président,
Je ris en pleurs et attends sans espoir ;
Confort reprends en triste désespoir ;
Je m'éjouis et n'ai plaisir aucun ;
Puissant je suis sans force et sans pouvoir,
Bien recueilli, débouté de chacun.

Rien ne m'est sûr que la chose incertaine ;
Obscur, fors ce qui est tout évident ;
Doute ne fais, fors en chose certaine ;
Science tiens à soudain accident ;
Je gagne tout et demeure perdant ;
Au point du jour dis : " Dieu vous doint bon soir ! "
Gisant envers, j'ai grand paour de choir ;
J'ai bien de quoi et si n'en ai pas un ;
Echoite attends et d'homme ne suis hoir,
Bien recueilli, débouté de chacun.

De rien n'ai soin, si mets toute ma peine
D'acquérir biens et n'y suis prétendant ;
Qui mieux me dit, c'est cil qui plus m'ataine,
Et qui plus vrai, lors plus me va bourdant ;
Mon ami est, qui me fait entendant
D'un cygne blanc que c'est un corbeau noir ;
Et qui me nuit, crois qu'il m'aide à pourvoir ;
Bourde, verté, aujourd'hui m'est tout un ;
Je retiens tout, rien ne sait concevoir,
Bien recueilli, débouté de chacun.

Prince clément, or vous plaise savoir
Que j'entends mout et n'ai sens ne savoir :
Partial suis, à toutes lois commun.
Que sais-je plus ? Quoi ? Les gages ravoir,
Bien recueilli, débouté de chacun.


(François Villon; composé en 1458 en l'honneur de Charles d'Orléans)

[Le sort de Villon par rapport à son hôte n'étant pas sans singulièrement me rappeler ma propre situation sur ZC Rolling Eyes ]
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Message par Blackmail Sam 16 Sep 2017 - 6:15

Mais Thomas Stearns Eliot, sans doute avec Paul Celan, demeure pour moi mon favori, surtout en VO. Ces deux-là dépassent très largement du lot, tant rien n'est à retirer et puissante est leur écriture.

Par exemple, les dernières strophes du Little Gidding:

With the drawing of this Love and the voice of this Calling

We shall not cease from exploration
And the end of all our exploring
Will be to arrive where we started
And know the place for the first time.
Through the unknown, unremembered gate
When the last of earth left to discover
Is that which was the beginning;
At the source of the longest river
The voice of the hidden waterfall
And the children in the apple-tree

Not known, because not looked for
But heard, half-heard, in the stillness
Between two waves of the sea.
Quick now, here, now, always--
A condition of complete simplicity
(Costing not less than everything)
And all shall be well and
All manner of thing shall be well
When the tongues of flames are in-folded
Into the crowned knot of fire
And the fire and the rose are one.

=====

Avec l'attrait de cet Amour, avec la voix de cet Appel

Nous ne cesserons pas notre exploration
Et le terme de notre quête
Sera d'arriver là d'où nous étions partis
Et de savoir le lieu pour la première fois.
À travers la grille inconnue, remémorée
Quand le dernier morceau de terre à découvrir
Sera celui par quoi nous avions commencé;
À la source du plus long fleuve
La voix de la cascade celée
Et les enfants dans le pommier

           
Non sus parce que non cherchés
Mais perçus, à demi perçus dans le silence
Entre deux vagues de la mer.
Vite, ici, maintenant, toujours -
Une simplicité complète
(Ne coûtant rien de moins que tout)
Et toute chose sera bien
Toute manière de chose sera bien
Lorsque les langues flamboyantes
S'infléchiront dans la couronne
Du nœud ardent et que le feu
Et la rose ne feront qu'un.
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Message par Blackmail Sam 16 Sep 2017 - 6:21

Et tant qu'à varier sur le thème de la rose et de la disparition (à mettre là encore en rapport avec le vers d'Eliot: "Ash on an old man's sleeve /Is all the ash the burnt roses leave" si on veut donner dans l'analyse littéraire des thèmes fondamentaux de la poésie contemporaine de l'immédiate après-guerre), voici la rose de personne (Die Niemandsrose en VO) de Paul Celan:

PSALM
Niemand knetet uns wieder aus Erde und Lehm,
niemand bespricht unsern Staub.
Niemand.

Gelobt seist du, Niemand.
Dir zulieb wollen
wir blühn.
Dir
entgegen

Ein Nichts
waren wir, sind wir, werden wir
bleiben, blühend :
die Nichts-, die
Niemandsrose

Mit
dem Griffel seelenhell,
dem Staubfaden himmelswüst,
der Krone rot
vom Purpurwort, das wir sagen
über, o über
dem Dorn.

=====

PSAUME
Personne ne nous pétrira de nouveau dans la terre et l'argile,
personne ne soufflera la parole sur notre poussière.
personne.

Loué sois-tu, Personne.
C'est pour toi que nous voulons
fleurir
A ta
rencontre.

Un rien,
voilà ce que nous fûmes, sommes et
resterons, fleurissant :
la rose de Rien, la
rose de Personne

Avec
la clarté d'âme du pistil
l'âpreté céleste de l'étamine,
la couronne rouge
du mot pourpre que nous chantions,
au-dessus, ô, au-dessus
de l'épine.
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Message par Sabrilanuit Lun 25 Sep 2017 - 9:44

.


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Message par Sabrilanuit Mar 26 Sep 2017 - 14:48

.


Dernière édition par Sabrilanuit le Mer 27 Sep 2017 - 8:01, édité 1 fois

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Message par Fata Morgana Mar 26 Sep 2017 - 15:15

Maintenant je veux m'embarquer

pour un de ces pays étranges

dont les animaux sont traqués...

Je veux que leurs plantes me vengent

des cultes qui m'ont envoûté

et que des races inconnues

me pénètrent de volupté

puisque tant de nuits sont perdues.

Il est, là-bas, des paradis

qui savent oublier les mortes...

Dis-moi le froid de ces pays

où mûrissent des fleurs si fortes

qu'on ne les touche qu'en dormant.

Je prononcerai des magies

qui remueront dans leurs ferments

mon cœur tendu de nostalgies.

Tous les rites sont des sommeils

qu'on prépare pour ces absences

où sanglotent de grands soleils...

Y trouverai-je mon enfance ?

Les départs sont ensorcelants

comme des femmes et des mages.

Tant de pays ont l'air brûlants

dans le crime amer des voyages :

chaque soif y peut s'inventer...

Quelle mer la plus ancienne

reviendra toujours me hanter ?

Même les péchés qui retiennent

ne guériront jamais ce mal

qui m'a pris des pays féroces

où commettre mon sang natal

et la cruauté d'autres noces...

J'aurais tant aimé le malheur

des pays qui n'ont pas de nom

qu'il me faut mentir les pardons

qui m'appelaient dans leurs rumeurs...

Il n'y a plus de sortilèges

assez purs pour nous délivrer :

les pays sont morts dans la neige,

les pays qu'on pouvait pleurer...

Où sont-elles ensevelies,

les îles des anciens rois,

devant quels
Christs en agonie

s'épaississent-elles de froid ?

Les enfants ont perdu leurs traces,

les enfants qui sentent le sang

ne reconnaissent plus ma race

dans la peur des soirs innocents.

Ces pays profonds sont des fautes

dont mon corps reste empoisonné.

Ô les pays frais que l'on m'ôte

m'avaient-ils tant abandonné ?

Il y vivait des couples calmes

que les étrangers ont noyés,

des arbres plus doux que des femmes

et des secrets qu'ils ont tués...

J'y savais des nuits si cruelles que leurs puretés m'écartèlent !
Tous les meurtres de leurs sorciers se sont changés en lunes noires qui descendent sur ces pays dont je n'use pas la mémoire tant ils sont chargés d'ennemis.
Quand ces pays de maléfices ne seront plus que glacials je n'y regretterai qu'un vice dont ma haine même aura mal...
Qui me rouvrira les prairies de ces pays très inconnus où mes bonheurs se sont perdus, où s'en va ma mélancolie ?...

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Message par Sabrilanuit Mer 27 Sep 2017 - 7:58


Autant que tu le peux

Et si tu ne peux mener ta vie à ton idée,
Lutte du moins autant
que tu le peux : ne va pas l’avilir
par trop d’échanges avec le monde,
par trop de gestes et de discours.

Ne va pas l’avilir en la traînant partout,
la promenant et l’exposant
à l’imbécilité quotidienne
des relations et des fréquentations,
jusqu’à en faire une étrangère importune.

***
Constantin Cavàfis

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Message par Invité Jeu 12 Oct 2017 - 18:40

Du monde des visions nocturnes
Nous – les enfants – sommes rois.
Les ombres longues descendent,
Les lanternes brillent derrière les fenêtres,
Le haut salon s’obscurcit,
Les miroirs aspirent leur tain…
Pas une minute à perdre !
Quelqu’un sort du coin.
Au-dessus du piano noir, tous deux
Nous nous penchons et la peur approche,
Enveloppés dans le châle de maman
Nous pâlissons sans oser un soupir.
Allons voir ce qui se passe
Sous le rideau des ténèbres ennemies.
Leurs visages sont devenus noirs, –
De nouveau nous sommes vainqueurs !
Nous sommes les maillons d’une chaîne magique
Et dans la bataille ne perdons jamais courage.
Le dernier combat est proche,
Et périra le royaume des ténèbres.
Nous méprisons les adultes
Pour leurs journées mornes et simples…
Nous savons, nous savons beaucoup
De ce qu’ils ne savent pas.


-


Au salon - Marina Tsvétaïeva

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Message par Ombrinou Lun 6 Nov 2017 - 21:53


Ce n'est pas mon poème préféré, mais c'est celui que j'avais envie de lire ce soir.



LES YEUX D’ELSA

Tes yeux sont si profonds qu’en me penchant pour boire
J’ai vu tous les soleils venir s’y mirer
S’y jeter à mourir tous les désespoirs
Tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire

À l’ombre des oiseaux c’est l’océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L’été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n’est jamais bleu comme il l’est sur les blés

Les vents chassent en vain les chagrins de l’azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu’une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d’après la pluie
Le verre n’est jamais si bleu qu’a sa brisure

Mère des sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L’iris troué de noir plus bleu d’être endeuillé

Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le cœur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche

Une bouche suffit au mois de mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d’un firmament pour des millions d’astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

L’enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l’averse ouvre des fleurs sauvages

Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d’août

J’ai retiré ce radium de la pechblende
Et j’ai brulé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

Il advint qu’un beau soir l’univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d’Elsa les yeux d’Elsa les yeux d’Elsa

Louis Aragon
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Message par Blackmail Ven 12 Jan 2018 - 6:36

Et la mort n’aura pas d’empire.
Les morts nus ne feront plus qu’un
Avec l’homme dans le vent et la lune d’ouest.
Quand leurs os becquetés seront propres, à leur place
Ils auront des étoiles au coude et au pied.
Même s’ils deviennent fous, ils seront guéris,
Même s’ils coulent à pic, ils reprendront pied,
Même si les amants se perdent, l’amour ne se perdra pas,
Et la mort n’aura pas d’empire.

Et la mort n’aura pas d’empire.
Depuis longtemps couchés dans les dédales de la mer,
Ils ne mourront pas dans les vents.
Se tordant sur des chevalets quand céderont les tendons,
Attachés à une roue, ils ne se briseront pas.
La foi dans les mains cassera net
Les démons unicornes les transperceront.
Fendus de toutes parts, ils ne craqueront pas
Et la mort n’aura pas d’empire.

Et la mort n’aura pas d’empire.
Les mouettes ne pousseront plus de cris dans leurs oreilles
Et les vagues ne se fracasseront plus sur les rives.
Où s’ouvrait une fleur peut-être qu’aucune fleur
Ne lèvera la tête sous les rafales de pluie,
Même s’ils sont fous et raides comme des rats morts
Leurs têtes martèleront les marguerites,
S’ouvriront au soleil jusqu’au dernier jour du soleil
Et la mort n’aura pas d’empire.


-Dylan Thomas (le vrai Dylan)
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Message par Blackmail Ven 12 Jan 2018 - 6:43

Grâce à Fata, j'ai pu relire l'un des plus mauvais poètes qui soit ou ai jamais existé, le sieur Jean-Claude Renard.
Que de clichés enfilés, que de mots mal dits et mal prononcés, qu'est-ce que c'est mauvais... C'est affreux la poésie lorsqu'elle est composée par un homme médiocre.
Mais ça plaît et ça a plu. Ce type a été lu et même beaucoup lu. Le grand-public apprécie ce genre de bouse, et spécialement lorsqu'on leur parle de soleils qui sanglotent, d'arbres plus doux des femmes, et qu'on fait rimer mélancolie et Christ en agonie.

Clichés, clichés, clichés... C'est tellement cucul, gnangnan, tellement kitsch.

C'est affreux tellement c'est laid. Le top du top en matière de mauvais goût sur ces 12 pages de poésie hétéroclite dans laquelle se côtoie un peu de tout, mais là c'est un record, une performance. Les goûts et les couleurs...

Cela me donne urgemment envie de revoir certaines séquences du "goût des autres", de Jaoui.
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Message par Invité Mar 13 Mar 2018 - 23:04

Oui dès l'instant que je vous vis
Beauté féroce, vous me plûtes
De l'amour qu'en vos yeux je pris
Sur-le-champ vous vous aperçûtes
Mais de quel air froid vous reçûtes
Tous les soins que pour vous je pris !
Combien de soupirs je rendis !
De quelle cruauté vous fûtes !
Et quel profond dédain vous eûtes
Pour les voeux que je vous offris !
En vain, je priai, je gémis,
Dans votre dureté vous sûtes
Mépriser tout ce que je fis ;
Même un jour je vous écrivis
Un billet tendre que vous lûtes
Et je ne sais comment vous pûtes,
De sang-froid voir ce que je mis.
Ah ! Fallait-il que je vous visse
Fallait-il que vous me plussiez
Qu'ingénument je vous le disse
Qu'avec orgueil vous vous tussiez
Fallait-il que je vous aimasse
Que vous me désespérassiez
Et qu'enfin je m'opiniâtrasse
Et que je vous idolâtrasse
Pour que vous m'assassinassiez



Complainte amoureuse - Alphonse Allais

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Message par Patate Mar 13 Mar 2018 - 23:33

Je vous salue Marie

Je vous salue, Marie pleine de grâce ;
Le Seigneur est avec vous.
Vous êtes bénie entre toutes les femmes
Et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni.
Sainte Marie, Mère de Dieu,
Priez pour nous pauvres pécheurs,
Maintenant et à l’heure de notre mort.

Amen


Gabriel
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Message par Invité Mer 14 Mar 2018 - 23:03

"Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.
Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. − Et je l'ai trouvée amère. − Et je l'ai injuriée.
Je me suis armé contre la justice.
Je me suis enfui. Ô sorcières, ô misère, ô haine, c'est à vous que mon trésor a été confié!
Je parvins à faire s'évanouir dans mon esprit toute l'espérance humaine. Sur toute joie pour l'étrangler j'ai fait le bond sourd de la bête féroce.
J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J'ai appelé les fléaux, pour m'étouffer avec le sable, le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie.
Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot.
Or, tout dernièrement m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit.
La charité est cette clef. − Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !
"Tu resteras hyène, etc...," se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. "Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux."
Ah ! j'en ai trop pris : − Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l'écrivain l'absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.

RIMBAUD - Prologue d'Une saison en enfer.

d'après HF Thiéfaine:

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Message par Invité Mer 14 Mar 2018 - 23:07

15

ME gustas cuando callas porque estás como ausente,
y me oyes desde lejos, y mi voz no te toca.
Parece que los ojos se te hubieran volado
y parece que un beso te cerrara la boca.

Como todas las cosas están llenas de mi alma
emerges de las cosas, llena del alma mía.
Mariposa de sueño, te pareces a mi alma,
y te pareces a la palabra melancolía.

Me gustas cuando callas y estás como distante.
Y estás como quejándote, mariposa en arrullo.
Y me oyes desde lejos, y mi voz no te alcanza:
déjame que me calle con el silencio tuyo.

Déjame que te hable también con tu silencio
claro como una lámpara, simple como un anillo.
Eres como la noche, callada y constelada.
Tu silencio es de estrella, tan lejano y sencillo.

Me gustas cuando callas porque estás como ausente.
Distante y dolorosa como si hubieras muerto.
Una palabra entonces, una sonrisa bastan.
Y estoy alegre, alegre de que no sea cierto.

Poema 15, Pablo Neruda

Traduction:

Par Victor Jara:

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Message par Blackmail Dim 11 Nov 2018 - 12:14

Pour ce centenaire de commémoration:

Tu n'en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j'ai vu battre le cœur à nu
Quand j'ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n'en reviendras pas vieux joueur de manille

Qu'un obus a coupé par le travers en deux
Pour une fois qu'il avait un jeu du tonnerre
Et toi le tatoué l'ancien Légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage sans yeux

On part Dieu sait pour où Ça tient du mauvais rêve
On glissera le long de la ligne de feu
Quelque part ça commence à n'être plus du jeu
Les bonshommes là-bas attendent la relève

Roule au loin roule le train des dernières lueurs
Les soldats assoupis que ta danse secoue
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac la laine et la sueur

Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées

Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit
Déjà vous n'êtes plus qu'un nom d'or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s'efface
Déjà vous n'êtes plus que pour avoir péri

Aragon
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Message par Invité Dim 11 Nov 2018 - 20:04

De la Lumière !
Louise Ackermann


Mehr Licht ! mehr Licht !
(Dernières paroles de Gœthe.)

Quand le vieux Gœthe un jour cria : « De la lumière ! »
Contre l’obscurité luttant avec effort,
Ah ! Lui du moins déjà sentait sur sa paupière
Peser le voile de la mort.

Nous, pour le proférer ce même cri terrible,
Nous avons devancé les affres du trépas ;
Notre œil perçoit encore, oui ! Mais, supplice horrible !
C’est notre esprit qui ne voit pas.

Il tâtonne au hasard depuis des jours sans nombre,
A chaque pas qu’il fait forcé de s’arrêter ;
Et, bien loin de percer cet épais réseau d’ombre,
Il peut à peine l’écarter.

Parfois son désespoir confine à la démence.
Il s’agite, il s’égare au sein de l’Inconnu,
Tout prêt à se jeter, dans son angoisse immense,
Sur le premier flambeau venu.

La Foi lui tend le sien en lui disant : « J’éclaire !
Tu trouveras en moi la fin de tes tourments. »
Mais lui, la repoussant du geste avec colère,
A déjà répondu : « Tu mens ! »

« Ton prétendu flambeau n’a jamais sur la terre
Apporté qu’un surcroît d’ombre et de cécité ;
Mais réponds-nous d’abord : est-ce avec ton mystère
Que tu feras de la clarté ? »

La Science à son tour s’avance et nous appelle.
Ce ne sont entre nous que veilles et labeurs.
Eh bien ! Tous nos efforts à sa torche immortelle
N’ont arraché que les lueurs.

Sans doute elle a rendu nos ombres moins funèbres ;
Un peu de jour s’est fait où ses rayons portaient ;
Mais son pouvoir ne va qu’à chasser des ténèbres
Les fantômes qui les hantaient.

Et l’homme est là, devant une obscurité vide,
Sans guide désormais, et tout au désespoir
De n’avoir pu forcer, en sa poursuite avide,
L’Invisible à se laisser voir.

Rien ne le guérira du mal qui le possède ;
Dans son âme et son sang il est enraciné,
Et le rêve divin de la lumière obsède
A jamais cet aveugle-né.

Qu’on ne lui parle pas de quitter sa torture.
S’il en souffre, il en vit ; c’est là son élément ;
Et vous n’obtiendrez pas de cette créature
Qu’elle renonce à son tourment.

De la lumière donc ! Bien que ce mot n’exprime
Qu’un désir sans espoir qui va s’exaspérant.
A force d’être en vain poussé, ce cri sublime
Devient de plus en plus navrant.

Et, quand il s’éteindra, le vieux Soleil lui-même
Frissonnera d’horreur dans son obscurité,
En l’entendant sortir, comme un adieu suprême,
Des lèvres de l’Humanité.

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Message par Blackmail Dim 11 Nov 2018 - 20:11

En lisant le poème publié par Ludion, je ne peux m'empêcher de penser à l'une des oeuvres les plus célèbres de Dylan Thomas:

N’entre pas apaisé dans cette bonne nuit



N’entre pas apaisé dans cette bonne nuit,

La vieillesse devrait s’embraser, se déchaîner face au jour qui s’achève ;

Rage, enrage contre la lumière qui se meurt.



Même si sur sa fin l’homme sage sait que l’obscurité est méritée,

Parce que ses mots n’ont fendu nul éclair il

N’entre pas apaisé dans cette bonne nuit.



L’homme bon, près de la vague ultime, pleurant

Sur ses frêles exploits dont l’éclat aurait dansé sur une verte baie,

Rage, enrage contre la lumière qui se meurt.



L’homme insoumis qui s’empare du soleil en plein vol et le chante,

Apprenant, trop tard, qu’il l’a peiné dans sa course,

N’entre pas apaisé dans cette bonne nuit.



L’homme grave, qui, agonisant, voit, vision aveuglante

Que l’œil aveugle pourrait flamboyer tel un météore et se réjouir,

Rage, enrage contre la lumière qui se meurt.



Et toi, mon père, là-bas sur ce triste promontoire,

Maudis-moi, bénis-moi maintenant de tes larmes de colère, je t’en supplie.

N’entre pas apaisé dans cette bonne nuit.

Rage, enrage contre la lumière qui se meurt.


(traduction de l'anglais: Line Audin)
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Message par Blackmail Sam 8 Déc 2018 - 2:18

A propos d'une amie qui fêtant son anniversaire, considère qu'elle a désormais atteint sagesse et maturité, j'ai repensé à ce cher T. S. Eliot:


Home is where one starts from. As we grow older
The world becomes stranger, the pattern more complicated
Of dead and living. Not the intense moment
Isolated, with no before and after,
But a lifetime burning in every moment
And not the lifetime of one man only
But of old stones that cannot be deciphered.
There is a time for the evening under starlight,
A time for the evening under lamplight
(The evening with the photograph album).
Love is most nearly itself
When here and now cease to matter.
Old men ought to be explorers
Here or there does not matter
We must be still and still moving
Into another intensity
For a further union, a deeper communion
Through the dark cold and the empty desolation,
The wave cry, the wind cry, the vast waters
Of the petrel and the porpoise. In my end is my beginning.
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Message par Manawydan Sam 8 Déc 2018 - 9:59

Vladimir Holan :

1

Même le soleil rend la nature malade,
elle vomit de l'ombre.
Jadis éternelle, la France
sonne le glas des actes.

Le crime seul se terre
dans son coin égoïste...
Pour être libre, il faut agir
C'est plus qu'un lien. Ce sont des chaînes.

2

Personne ne se soucie là-bas, chez vous tous,
que ce pays dans lequel je vis encore tranquillement
puisse n'être aujourd'hui ou demain pour votre orgueil
qu'une peau de chien pour la cornemuse.

Que personne ne se réjouisse, chez vous, fût ce par
ruse ou par intérêt,
de cette seconde de silence observée ici pour la paix.
Vous avez simplement trahi, déjà le châtiment s'élance
et va commencer par les lâches.

Cent ans ne me sont rien, pour moi qui suis poète.
je dis : rien, et donc, prenez qui vous voulez,
nous pouvons attendre. Dés maintenant, entre les mots,
ce n'est plus vous, mais quelq'un d'autre qui se tient
près des caméras

et qui tourne...
Manawydan
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Message par Invité Jeu 20 Déc 2018 - 4:49

Deux mondes – et moi je viens de l’autre.

Derrière et dans
les rues trempées
derrière et dans
brume et lacération
au delà de chaos et raison
portes minuscules et rudes tentes de cuir,
monde caché au monde, imprégnant le monde,
inénarrablement ignoré du monde,
par le souffle divin
un instant suscité,
par le souffle divin
aussitôt effacé,
il attend la Lumière voilée, le Soleil enseveli,
la prodigieuse Fleur.

Deux mondes – et moi je viens de l’autre.

Le seuil, ici, n’est pas entre monde et monde
ni entre corps et âme,
c’est le tranchant vivant et efficace
plus aiguisé que la double lame
qui creuse
jusqu’à séparation
de l’âme véhémente d’avec le délicat esprit
– jusqu’à ce que le noyau bien détaché roule dans la chair –
et des jointures d’avec les os
et des tendons d’avec la moelle :
la lame qui discerne du cœur
les terribles intentions
les violentes hésitations

Deux mondes – et moi je viens de l’autre.

Ô clé qui ouvre sans fermer,
ferme sans ouvrir et conduit
tendrement le vaincu hors des murs de la prison
et hors de l’ombre de la mort
et le sans-logis sous les porches lumineux
des milles yeux impassibles
de qui a jusqu’au terme souffert
et des mains contre la nuit dressées
dans le saint idéogramme de la bénédiction –
dessinées
redessinées
selon les huit tons qui séparent les huit cieux
avec l’érotique encens et le funeste myron
au centre de la poitrine, au centre du Soleil, là où le Nom
- chrême répandu est Ton Nom -
ravit un immobile tourbillon à la vie de ce monde
et du monde de la mort fait jaillir des sens nouveaux.



- Cristina Campo

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Message par Mahé Jeu 20 Déc 2018 - 22:37

Solitude

Je sais une chapelle horrible et diffamée,
Dans laquelle autrefois un prêtre s’est pendu.
Depuis ce sacrilège effroyable on a dû
La tenir pour toujours aux fidèles fermée.

Plus de croix sur l’autel, plus de cierge assidu,
Plus d’encensoir perdant son âme parfumée.
Sous les arceaux déserts une funèbre armée
De feuilles mortes court en essaim éperdu.

Ma conscience est cette église de scandales ;
Mes remords affolés bondissent sur les dalles ;
Le doute, qui faisait mon orgueil, me punit.

Obstiné sans grandeur, je reste morne et sombre,
Et ne puis même pas mettre mon âme à l’ombre
Du grand geste de Christ qui plane et qui bénit.

François Coppé
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Message par Invité Jeu 20 Déc 2018 - 23:08

C'est marrant Mahé peut être pour le fait que ce poème vient de toi, mais il ne me renvoie pas des images tristes liées à la solitude. Il y a beaucoup des églises ou chapelles dédiées à des activités culturelles en Italie.
J'ai pensé à la première fois qu'on a essayé de faire du théâtre improvisé en langue anglaise dans une chapelle avec une association d'étudiants. La très belle bibliothèque de lettres sur deux étages dans une église justement. La lecture publique de l' Odyssée - le retour d' Ulysse - dans une église.
Le pull rose de ton avatar: je me souviens d'un rescapé de la guerre qui s'était pendu dans un "box -mobile home" le style qu'on retrouve dans le camp des réfugiés ou des victimes de tremblements/inondations. Le box-mobile home avait été repeint en rose. Je crois pour non oublier sa mort, c'était noble de la part de qui restait.

ps tu as changé d'avatar entretemps ça c'est la lecture dans la pensée


Dernière édition par Fény le Jeu 20 Déc 2018 - 23:25, édité 1 fois (Raison : modification avatar)

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