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Vos poèmes préférés - Page 5 Empty Re: Vos poèmes préférés

Message par Pieyre Lun 19 Jan 2015 - 15:03

    El Desdichado

    Je suis le Ténébreux, le Veuf, – l'Inconso­lé,
    Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :
    Ma seule Etoile est morte, – et mon luth constellé
    Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

    Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
    Rends‑moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
    La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
    Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.

    Suis‑je Amour ou Phœbus ?... Lusignan ou Biron ?
    Mon front est rouge encor du baiser de la Reine;
    J'ai rêvé dans la Grotte où nage la Syrè­ne...

    Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
    Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
    Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

    — Gérard de Nerval, Les chimères

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Vos poèmes préférés - Page 5 Empty Re: Vos poèmes préférés

Message par Mika2 Lun 26 Jan 2015 - 23:24

J'aime murmurer ce long poème comme une litanie:

La marche à l'amour

Tu as les yeux pers des champs de rosées
tu as des yeux d'aventure et d'années-lumière
la douceur du fond des brises au mois de mai
dans les accompagnements de ma vie en friche
avec cette chaleur d'oiseau à ton corps craintif
moi qui suis charpente et beaucoup de fardoches
moi je fonce à vive allure et entêté d'avenir
la tête en bas comme un bison dans son destin
la blancheur des nénuphars s'élève jusqu'à ton cou
pour la conjuration de mes manitous maléfiques
moi qui ai des yeux où ciel et mer s'influencent
pour la réverbération de ta mort lointaine
avec cette tache errante de chevreuil que tu as
tu viendras tout ensoleillée d'existence
la bouche envahie par la fraîcheur des herbes
le corps mûri par les jardins oubliés
où tes seins sont devenus des envoûtements
tu te lèves, tu es l'aube dans mes bras
où tu changes comme les saisons
je te prendrai marcheur d'un pays d'haleine
à bout de misères et à bout de démesures
je veux te faire aimer la vie notre vie
t'aimer fou de racines à feuilles et grave
de jour en jour à travers nuits et gués
de moellons nos vertus silencieuses
je finirai bien par te rencontrer quelque part
bon dieu!
et contre tout ce qui me rend absent et douloureux
par le mince regard qui me reste au fond du froid
j'affirme ô mon amour que tu existes
je corrige notre vie
nous n'irons plus mourir de langueur
à des milles de distance dans nos rêves bourrasques
des filets de sang dans la soif craquelée de nos lèvres
les épaules baignées de vols de mouettes
non
j'irai te chercher nous vivrons sur la terre
la détresse n'est pas incurable qui fait de moi
une épave de dérision, un ballon d'indécence
un pitre aux larmes d'étincelles et de lésions profondes
frappe l'air et le feu de mes soifs
coule-moi dans tes mains de ciel de soie
la tête la première pour ne plus revenir
si ce n'est pour remonter debout à ton flanc
nouveau venu de l'amour du monde
constelle-moi de ton corps de voie lactée
même si j'ai fait de ma vie dans un plongeon
une sorte de marais, une espèce de rage noire
si je fus cabotin, concasseur de désespoir
j'ai quand même idée farouche
de t'aimer pour ta pureté
de t'aimer pour une tendresse que je n'ai pas connue
dans les giboulées d'étoiles de mon ciel
l'éclair s'épanouit dans ma chair
je passe les poings durs au vent
j'ai un coeur de mille chevaux-vapeur
j'ai un coeur comme la flamme d'une chandelle
toi tu as la tête d'abîme douce n'est-ce pas
la nuit de saule dans tes cheveux
un visage enneigé de hasards et de fruits
un regard entretenu de sources cachées
et mille chants d'insectes dans tes veines
et mille pluies de pétales dans tes caresses
tu es mon amour
ma clameur mon bramement
tu es mon amour ma ceinture fléchée d'univers
ma danse carrée des quatre coins d'horizon
le rouet des écheveaux de mon espoir
tu es ma réconciliation batailleuse
mon murmure de jours à mes cils d'abeille
mon eau bleue de fenêtre
dans les hauts vols de buildings
mon amour
de fontaines de haies de ronds-points de fleurs
tu es ma chance ouverte et mon encerclement
à cause de toi
mon courage est un sapin toujours vert
et j'ai du chiendent d'achigan plein l'âme
tu es belle de tout l'avenir épargné
d'une frêle beauté soleilleuse contre l'ombre
ouvre-moi tes bras que j'entre au port
et mon corps d'amoureux viendra rouler
sur les talus du mont Royal
orignal, quand tu brames orignal
coule-moi dans ta plainte osseuse
fais-moi passer tout cabré tout empanaché
dans ton appel et ta détermination
Montréal est grand comme un désordre universel
tu es assise quelque part avec l'ombre et ton coeur
ton regard vient luire sur le sommeil des colombes
fille dont le visage est ma route aux réverbères
quand je plonge dans les nuits de sources
si jamais je te rencontre fille
après les femmes de la soif glacée
je pleurerai te consolerai
de tes jours sans pluies et sans quenouilles
des circonstances de l'amour dénoué
j'allumerai chez toi les phares de la douceur
nous nous reposerons dans la lumière
de toutes les mers en fleurs de manne
puis je jetterai dans ton corps le vent de mon sang
tu seras heureuse fille heureuse
d'être la femme que tu es dans mes bras
le monde entier sera changé en toi et moi
la marche à l'amour s'ébruite en un voilier
de pas voletant par les lacs de portage
mes absolus poings
ah violence de délices et d'aval
j'aime
que j'aime
que tu t'avances
ma ravie
frileuse aux pieds nus sur les frimas de l'aube
par ce temps profus d'épilobes en beauté
sur ces grèves où l'été
pleuvent en longues flammèches les cris des pluviers
harmonica du monde lorsque tu passes et cèdes
ton corps tiède de pruche à mes bras pagayeurs
lorsque nous gisons fleurant la lumière incendiée
et qu'en tangage de moisson ourlée de brises
je me déploie sur ta fraîche chaleur de cigale
je roule en toi
tous les saguenays d'eau noire de ma vie
je fais naître en toi
les frénésies de frayères au fond du coeur d'outaouais
puis le cri de l'engoulevent vient s'abattre dans ta gorge
terre meuble de l'amour ton corps
se soulève en tiges pêle-mêle
je suis au centre du monde tel qu'il gronde en moi
avec la rumeur de mon âme dans tous les coins
je vais jusqu'au bout des comètes de mon sang
haletant
harcelé de néant
et dynamité
de petites apocalypses
les deux mains dans les furies dans les féeries
ô mains
ô poings
comme des cogneurs de folles tendresses

mais que tu m'aimes et si tu m'aimes
s'exhalera le froid natal de mes poumons
le sang tournera ô grand cirque
je sais que tout mon amour
sera retourné comme un jardin détruit
qu'importe je serai toujours si je suis seul
cet homme de lisière à bramer ton nom
éperdument malheureux parmi les pluies de trèfles
mon amour ô ma plainte
de merle-chat dans la nuit buissonneuse
ô fou feu froid de la neige
beau sexe léger ô ma neige
mon amour d'éclairs lapidée
morte
dans le froid des plus lointaines flammes
puis les années m'emportent sens dessus dessous
je m'en vais en délabre au bout de mon rouleau
des voix murmurent les récits de ton domaine
à part moi je me parle
que vais-je devenir dans ma force fracassée
ma force noire du bout de mes montagnes
pour te voir à jamais je déporte mon regard
je me tiens aux écoutes des sirènes
dans la longue nuit effilée du clocher de Saint-Jacques
et parmi ces bouts de temps qui halètent
me voici de nouveau campé dans ta légende
tes grands yeux qui voient beaucoup de cortèges
les chevaux de bois de tes rires
tes yeux de paille et d'or
seront toujours au fond de mon coeur
et ils traverseront les siècles
je marche à toi, je titube à toi, je meurs de toi
lentement je m'affale de tout mon long dans l'âme
je marche à toi, je titube à toi, je bois
à la gourde vide du sens de la vie
à ces pas semés dans les rues sans nord ni sud
à ces taloches de vent sans queue et sans tête
je n'ai plus de visage pour l'amour
je n'ai plus de visage pour rien de rien
parfois je m'assois par pitié de moi
j'ouvre mes bras à la croix des sommeils
mon corps est un dernier réseau de tics amoureux
avec à mes doigts les ficelles des souvenirs perdus
je n'attends pas à demain je t'attends
je n'attends pas la fin du monde je t'attends
dégagé de la fausse auréole de ma vie

   Gaston Miron (L'Homme Rapaillé, Montréal, l'Hexagone, 1994)
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Message par Invité Jeu 5 Fév 2015 - 1:53



Mon œil s’étant fait peintre a, sur mon cœur, tracé,
Comme sur un tableau, ta divine figure;
Ce portrait pour son cadre en mon corps est placé
Et perspective est l'art majeur de la peinture.

Car à travers le peintre observez son savoir
Pour trouver en quoi ment votre fidèle image
Exposée en mon sein, boutique où l'on peut voir
Aux fenêtres vos yeux remplacer le vitrage.

Et vois de quels bienfaits les yeux comblent les yeux :
mes yeux t'ont dessiné, les tiens se sont fait glaces
Ouvertes en mon sein. Le soleil radieux
Aime à les traverser pour contempler tes grâces.

Mais les yeux de leur art excusent la valeur :
Ils peignent ce qu'ils voient sans connaître le cœur.



W.Shakespeare

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Message par Invité Lun 9 Fév 2015 - 15:22

Je viens de tomber sur un poème de Raoul Ponchon, Le Nu dans le crime, qui m'a bien fait rire :

(Tiré d'un fait divers, où les deux assassins de M. Rémy s'étaient mis nus pour perpétrer leur crime)

... Quant à moi, dès que je connus
Que les assassins étaient nus,
Sans perdre une seconde,
Et de mon pas le plus léger,
J’allai chez Monsieur Bérenger,
À l’âme pudibonde.

Car notre illustre sénateur
Étant le plus grand contempteur
Du Nu, qui soit en France,
Il me semblait intéressant
D’avoir son avis entre cent,
En pareille occurrence.

Telle était donc la question :
Connaître son opinion
Sur le « Nu dans le crime »,
Sur ce Renard et son ami
Dont ce pauvre Monsieur Rémy
Avait été victime.

Dès qu’il me vit : « Les scélérats !
Fit-il – les sombres choléras !
Tenez j’en meurs de honte,
Pour mon pays, s’il est bien vrai
Que le crime fut perpétré,
Ainsi qu’on le raconte.

« Ce fin Renard et son « comtois »
Cet imbécile de Courtois,
Laissez-moi vous le dire,
Sans préjuger de leurs desseins,
Me semblent moins des assassins
Que d’ignobles satyres.

« Ils avaient – dit-on – adopté
Une complète nudité,
Pour occire leur maître ;
– Il fallait éviter le sang,
Sur leurs habits, les accusant,
Pouvant les compromettre.

« Allons donc ! Vous n’y pensez pas,
Ce serait en faire, en ce cas,
Des criminels-artistes ;
Mais non, ce sont des possédés.
C’est ce que nous appelons des
Exhibitionnistes.

« Ils n’avaient rien prémédité
Qu’une extrême impudicité...
Et c’est à mon estime,
Alors qu’ils se virent tout nus.
Atroces, hideux, saugrenus,
Qu’ils conçurent leur crime.

« Crime horrible et sans précédents !
Car ces deux misérables, dans
Leur folie ordurière,
Tout en le lardant d’un poignard,
À cet infortuné vieillard
Montrèrent leur derrière.

« Qui sait si ce n’est pas d’abord
De ce spectacle qu’il est mort ?...
À quatre-vingts ans d’âge,
Où l’on est au bout de son fil,
Soyez bien persuadé qu’il
N’en faut pas davantage.

« Enfin, tel est mon sentiment :
Il est mort de saisissement,
Ce vieillard, sans nul doute.
Oui, de saisissement – plutôt
Que des treize coups de couteau
Qu’il reçut, somme toute.

« – Pensez donc ! au coup de minuit,
Un derrière qui vous poursuit,
Terrifiant et blême !
Moi-même je mourrais... d’ennui,
En plein jour, rien qu’à voir celui
De Vénus elle-même ! »

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Message par Pieyre Lun 9 Fév 2015 - 16:35

    Quand il est entré dans mon logis clos,
    J'ourlais un drap lourd près de la fenêtre,
    L'hiver dans les doigts, l'ombre sur le dos…
    Sais-je depuis quand j'étais là sans être ?

    Et je cousais, je cousais, je cousais…
    – Mon cœur, qu'est-ce-que tu faisais ?

    Il m'a demandé des outils à nous.
    Mes pieds ont couru, si vifs dans la salle,
    Qu'ils semblaient – si gais, si légers, si doux, –
    Deux petits oiseaux caressant la dalle.

    De-ci, de-là, j'allais, j'allais…
    – Mon cœur, qu'est-ce que tu voulais ?

    Il m'a demandé du beurre, du pain,
    – Ma main en l'ouvrant caressait la huche –
    Du cidre nouveau, j'allais, et ma main
    Caressait les bols, la table, la cruche.

    Deux fois, dix fois, vingt fois je les touchais…
    – Mon cœur, qu'est-ce que tu cherchais ?

    Il m'a fait sur tout trente-six pourquois.
    J'ai parlé de tout, des poules, des chèvres,
    Du froid et du chaud, des gens, et ma voix
    En sortant de moi caressait mes lèvres…

    Et je causais, je causais, je causais…
    – Mon cœur, qu'est-ce que tu disais ?

    Quand il est parti, pour finir l'ourlet
    Que j'avais laissé, je me suis assise…
    L'aiguille chantait, l'aiguille volait,
    Mes doigts caressaient notre toile bise…

    Et je cousais, je cousais, je cousais…
    – Mon cœur, qu'est-ce que tu faisais ?


    Marie Noël, Les Chansons et les Jours

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Message par Invité Lun 16 Fév 2015 - 22:33

Allégeance
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima?

Il cherche son pareil dans le voeu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.

Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.

Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas?

René Char
Extrait de
"Eloge d'une soupçonnée,
Poésie/Gallimard"

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Message par Invité Ven 13 Mar 2015 - 14:39

Frisson d'hiver de Stéphane Mallarmé (1867)

Cette pendule de Saxe, qui retarde et sonne treize heures parmi ses fleurs et ses dieux, à qui a-t-elle été ? Pense qu’elle est venue de Saxe par les longues diligences autrefois.

(De singulières ombres pendent aux vitres usées.)

Et ta glace de Venise, profonde comme une froide fontaine, en un rivage de guivres dédorées, qui s’y est miré ? Ah ! je suis sûr que plus d’une femme a baigné dans cette eau le péché de sa beauté ; et peut-être verrais-je un fantôme nu si je regardais longtemps.

— Vilain, tu dis souvent de méchantes choses.

(Je vois des toiles d’araignées au haut des grandes croisées.)

Notre bahut encore est très vieux : contemple comme ce feu rougit son triste bois ; les rideaux amortis ont son âge, et la tapisserie des fauteuils dénués de fard, et les anciennes gravures des murs, et toutes nos vieilleries ? Est-ce qu’il ne te semble pas, même, que les bengalis et l’oiseau bleu ont déteint avec le temps ?

(Ne songe pas aux toiles d’araignées qui tremblent au haut des grandes croisées.)

Tu aimes tout cela et voilà pourquoi je puis vivre auprès de toi. N’as-tu pas désiré, ma sœur au regard de jadis, qu’en un de mes poèmes apparussent ces mots « la grâce de choses fanées » ? Les objets neufs te déplaisent ; à toi aussi, ils font peur avec leur hardiesse criarde, et tu te sentirais le besoin de les user, ce qui est bien difficile à faire pour ceux qui ne goûtent pas l’action.

Viens, ferme ton vieil almanach allemand, que tu lis avec attention, bien qu’il ait paru il y a plus de cent ans et que les rois qu’il annonce soient tous morts, et, sur l’antique tapis couché, la tête appuyée parmi tes genoux charitables dans ta robe pâlie, ô calme enfant, je te parlerai pendant des heures ; il n’y a plus de champs et les rues sont vides, je te parlerai de nos meubles... Tu es distraite ?

(Ces toiles d’araignées grelottent au haut des grandes croisées.)

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Message par Invité Dim 5 Avr 2015 - 16:01

Apollinaire - Automne malade

Spoiler:

Tzara - L'Homme approximatif

Spoiler:

Spoiler:

Villon - Le Testament, "Les regrets de la belle Heaulmiere"

Spoiler:

Rimbaud - Barbare

Spoiler:

Ezra Pound - Sestina : Altaforte

Spoiler:

Lautréamont - Les Chants de Maldoror

Chant I, strophe 9:

Chant III, strophe 5:

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Message par Kodiak Sam 25 Avr 2015 - 17:10

Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne.
Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne
Ne sont jamais allés à l’école une fois,
Et ne savent pas lire, et signent d’une croix.
C’est dans cette ombre-là qu’ils ont trouvé le crime.
L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme.
Où rampe la raison, l’honnêteté périt.
Dieu, le premier auteur de tout ce qu’on écrit,
A mis, sur cette terre où les hommes sont ivres,
Les ailes des esprits dans les pages des livres.
Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut
Planer là-haut où l’âme en liberté se meut.
L’école est sanctuaire autant que la chapelle.
L’alphabet que l’enfant avec son doigt épelle
Contient sous chaque lettre une vertu ; le cœur
S’éclaire doucement à cette humble lueur.
Donc au petit enfant donnez le petit livre.
Marchez, la lampe en main, pour qu’il puisse vous suivre.
La nuit produit l’erreur et l’erreur l’attentat.
Faute d’enseignement, on jette dans l’état
Des hommes animaux, têtes inachevées,
Tristes instincts qui vont les prunelles crevées,
Aveugles effrayants, au regard sépulcral,
Qui marchent à tâtons dans le monde moral.
Allumons les esprits, c’est notre loi première,
Et du suif le plus vil faisons une lumière.
L’intelligence veut être ouverte ici-bas ;
Le germe a droit d’éclore ; et qui ne pense pas
Ne vit pas. Ces voleurs avaient le droit de vivre.
Songeons-y bien, l’école en or change le cuivre,
Tandis que l’ignorance en plomb transforme l’or.

Je dis que ces voleurs possédaient un trésor,
Leur pensée immortelle, auguste et nécessaire ;
Je dis qu’ils ont le droit, du fond de leur misère,
De se tourner vers vous, à qui le jour sourit,
Et de vous demander compte de leur esprit ;
Je dis qu’ils étaient l’homme et qu’on en fit la brute ;
Je dis que je nous blâme et que je plains leur chute ;
Je dis que ce sont eux qui sont les dépouillés ;
Je dis que les forfaits dont ils se sont souillés
Ont pour point de départ ce qui n’est pas leur faute ;
Pouvaient-ils s’éclairer du flambeau qu’on leur ôte ?
Ils sont les malheureux et non les ennemis.
Le premier crime fut sur eux-mêmes commis ;
On a de la pensée éteint en eux la flamme ;
Et la société leur a volé leur âme. »
Victor Hugo, Jersey, 27 février 1853, Les Quatre vents de l’Esprit.
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Message par Invité Mar 28 Avr 2015 - 16:17

La Fin de Tristan Corbière, réponse acide à Oceano nox de Victor Hugo (Ô combien de marins, combien de capitaines) :

Eh bien, tous ces marins - matelots, capitaines,
Dans leur grand Océan à jamais engloutis...
Partis insoucieux pour leurs courses lointaines
Sont morts - absolument comme ils étaient partis.

Allons! c'est leur métier ; ils sont morts dans leurs bottes !
Leur boujaron au cœur, tout vifs dans leurs capotes...
- Morts... Merci : la Camarde a pas le pied marin ;
Qu'elle couche avec vous : c'est votre bonne femme...
- Eux, allons donc : Entiers! enlevés par la lame
Ou perdus dans un grain...

Un grain... est-ce la mort ça ? la basse voilure
Battant à travers l'eau ! - Ça se dit encombrer...
Un coup de mer plombe, puis la haute mâture
Fouettant les flots ras - et ça se dit sombrer.

- Sombrer - Sondez ce mot. Votre mort est bien pâle
Et pas grand'chose à bord, sous la lourde rafale...
Pas grand'chose devant le grand sourire amer
Du matelot qui lutte. - Allons donc, de la place ! -
Vieux fantôme éventé, la Mort change de face :
La Mer !...

Noyés ? - Eh allons donc ! Les noyés sont d'eau douce.
- Coulés ! corps et biens ! Et, jusqu'au petit mousse,
Le défi dans les yeux, dans les dents le juron !
À l'écume crachant une chique râlée,
Buvant sans hauts-de-coeur la grand'tasse salée...
- Comme ils ont bu leur boujaron. -

- Pas de fond de six pieds, ni rats de cimetière :
Eux ils vont aux requins ! L'âme d'un matelot
Au lieu de suinter dans vos pommes de terre,
Respire à chaque flot.

- Voyez à l'horizon se soulever la houle ;
On dirait le ventre amoureux
D'une fille de joie en rut, à moitié soûle...
Ils sont là ! - La houle a du creux. -

- Ecoutez, écoutez la tourmente qui meugle !…
C’est leur anniversaire – Il revient bien souvent –
Ô poète, gardez pour vous vos chants d’aveugle ;
- Eux : le De profundis que leur corne le vent.

.. Qu’ils roulent infinis dans les espaces vierges !…
Qu’ils roulent verts et nus,
Sans clous et sans sapin, sans couvercle, sans cierges…
- Laissez-les donc rouler, terriens parvenus !

À bord. – 11 février.

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Message par Pieyre Mar 28 Avr 2015 - 22:30

              Autre baiser

    Quand ton col de couleur de rose
    Se donne à mon embrassement,
    Et ton œil languist doulcement
    D'une paupiere à demy close,

    Mon ame se fond du desir
    Dont elle est ardentement pleine,
    Et ne peult souffrir à grand'peine
    La force d'un si grand plaisir.

    Puis quand j'approche de la tienne
    Ma levre, et que si pres je suis,
    Que la fleur recuillir je puis
    De ton haleine Ambrosienne :

    Quand le souspir de ces odeurs,
    Ou noz deux langues qui se jouënt
    Moitement folastrent et nouënt,
    Evente nos doulces ardeurs,

    Il me semble estre assis à table
    Avec les Dieux, tant suis heureux,
    Et boire à longs traicts savoureux
    Leur doulx breuvage delectable.

    Si le bien qui au plus grand bien
    Est plus prochain, prendre on me laisse,
    Pourquoy ne permets‑tu, maistresse,
    Qu'encores le plus grand soit mien ?

    As‑tu peur que la jouissance
    D'un si grand heur me face Dieu,
    Et que sans toy je vole au lieu
    D'eternelle resjouissance ?

    Belle, n'aye peur de cela,
    Par tout où sera ta demeure,
    Mon ciel jusqu'à tant que je meure,
    Et mon paradis sera là.


    Joachim du Bellay, Jeux rustiques, XXIV

Pieyre

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Message par Bacha Posh Mer 6 Mai 2015 - 0:57

Strange Fruit

Southern trees bear a strange fruit,
Blood on the leaves and blood at the root,
Black body swinging in the Southern breeze,
Strange fruit hanging from the poplar trees.

Pastoral scene of the gallant South,
The bulging eyes and the twisted mouth,
Scent of magnolia sweet and fresh,
And the sudden smell of burning flesh !

Here is a fruit for the crows to pluck,
For the rain to gather, for the wind to suck,
For the sun to rot, for a tree to drop,
Here is a strange and bitter crop.


Lewis Allan, Strange Fruit, 1937

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Message par Princeton Mer 3 Juin 2015 - 23:54

Alfred de VIGNY (1797-1863)

La mort du loup

I

Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée,
Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon.
Nous marchions sans parler, dans l'humide gazon,
Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,
Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes,
Nous avons aperçu les grands ongles marqués
Par les loups voyageurs que nous avions traqués.
Nous avons écouté, retenant notre haleine
Et le pas suspendu. -- Ni le bois, ni la plaine
Ne poussait un soupir dans les airs ; Seulement
La girouette en deuil criait au firmament ;
Car le vent élevé bien au dessus des terres,
N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires,
Et les chênes d'en-bas, contre les rocs penchés,
Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.
Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête,
Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en quête
A regardé le sable en s'y couchant ; Bientôt,
Lui que jamais ici on ne vit en défaut,
A déclaré tout bas que ces marques récentes
Annonçait la démarche et les griffes puissantes
De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.
Nous avons tous alors préparé nos couteaux,
Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,
Nous allions pas à pas en écartant les branches.
Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient,
J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
Et je vois au delà quatre formes légères
Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,
Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux,
Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
Leur forme était semblable et semblable la danse ;
Mais les enfants du loup se jouaient en silence,
Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi,
Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi.
Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,
Sa louve reposait comme celle de marbre
Qu'adorait les romains, et dont les flancs velus
Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.
Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ;
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
Du chien le plus hardi la gorge pantelante
Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer,
Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair
Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;
Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.

II

J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre
A poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,
Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois,
Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve
Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve ;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
A ne jamais entrer dans le pacte des villes
Que l'homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.

Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,
Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez, sublimes animaux !
A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
- Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au coeur !
Il disait : " Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. "
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Message par Cedrina Mer 3 Juin 2015 - 23:56

Tu m’as  quitté  

Tu m’as  quitté par toutes  les portes
Tu m’as laissé  dans tous les  déserts
Je  t’ai  cherchée à l’aube  et   je  t’ai perdue à midi
Tu  n’étais nulle  part  où  j’arrive
Qui  saurait-dire le  Sahara  d’une chambre  sans  toi
La  foule  d’un  dimanche où  rien  ne te  ressemble
Un  jour  plus vide que vers la mer la jetée
Le silence   où j’appelle et tu ne réponds pas  

Tu  m’as  quitté  présent  immobile
Tu  m’as  quitté partout   tu m’as quitté des yeux
Du  cœur des songes
Tu  m’as   quitté  comme une  phrase  inachevée
Un  objet  par   hasard  une  chose une chaise
Une  villégiature à  la  fin de l’été
Une  carte  postale  dans un tiroir
Je  suis tombé  de toi toute la vie  au  moindre  geste
Tu  ne  m’as  jamais vu  pleurer  pour ta  tête  détournée
Ton  regard  au diable de moi
Un  soupir  dont  j’étais  absent  

As-tu  jamais eu  pitié  de  ton  ombre  à tes  pieds

Louis Aragon
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Message par Princeton Jeu 4 Juin 2015 - 0:01

Vos poèmes préférés - Page 5 Charles-bukowski-for-jane

For Jane, Bukowski
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Message par Princeton Jeu 4 Juin 2015 - 0:04

My doom smiles at me, by Charles Bukowski
there’s no other way:
8 or ten poems a
night.
in the sink
behind me are dishes
that haven’t been
washed in 2
weeks.
the sheets need
changing
and the bed is
unmade.
half the lights are
burned-out here.
it gets darker
and darker
(I have replacement
bulbs but can’t get them
out of their cardboard
wrapper.) Despite my
dirty shorts in the
bathtub
and the rest of my dirty
laundry on the
bedroom floor,
they haven’t
come for me yet
with their badges and their rules and their
numb ears. oh, them
and their caprice!
like the fox
I run with the hunted and
if I’m not the happiest
man on earth I’m surely the
luckiest man
alive.
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Message par Pieyre Jeu 4 Juin 2015 - 0:08

    Regrettez‑vous le temps où le ciel sur la terre
    Marchait et respirait dans un peuple de dieux,
    Où Vénus Astarté, fille de l'onde amère,
    Secouait, vierge encor, les larmes de sa mère,
    Et fécondait le monde en tordant ses cheveux ?
    Regrettez‑vous le temps où les Nymphes lascives
    Ondoyaient au soleil parmi les fleurs des eaux,
    Et d'un éclat de rire agaçaient sur les rives
    Les Faunes indolents couchés dans les roseaux;
    Où les sources tremblaient des baisers de Narcisse;
    Où du nord au midi, sur la création,
    Hercule promenait l'éternelle justice,
    Sous son manteau sanglant taillé dans un lion;
    Où les Sylvains moqueurs, dans l'écorce des chênes,
    Avec les rameaux verts se balançaient au vent,
    Et sifflaient dans l'écho la chanson du passant;
    Où tout était divin, jusqu'aux douleurs humaines;
    Où le monde adorait ce qu'il tue au­jourd'hui;
    Où quatre mille dieux n'avaient pas un athée;
    Où tout était heureux excepté Prométhée,
    Frère aîné de Satan, qui tomba comme lui ?

    [...]

    Regrettez‑vous le temps où d'un siècle barbare
    Naquit un siècle d'or, plus fertile et plus beau;
    Où le vieil univers fendit avec Lazare
    De son front rajeuni la pierre du tombeau ?
    Regrettez‑vous le temps où nos vieilles romances
    Ouvraient leurs ailes d'or vers leur monde enchanté;
    Où tous nos monuments et toutes nos croyan­ces
    Portaient le manteau blanc de leur virgini­té;
    Où, sous la main du Christ, tout venait de renaître;
    Où le palais du prince et la maison du prêtre,
    Portant La même croix sur leur front radieux,
    Sortaient de la montagne en regardant les cieux;
    Où Cologne et Strasbourg, Notre‑Dame et Saint‑Pierre
    S'agenouillant au loin dans leurs robes de pierre,
    Sur l'orgue universel des peuples proster­nés
    Entonnaient l'hosanna des siècles nou­veaux‑nés;
    Le temps où se faisait tout ce qu'a dit l'histoire;
    Où sur les saints autels les crucifix d'ivoire
    Ouvraient des bras sans tache et blancs comme le lait;
    Où la Vie était jeune, – où la Mort espé­rait ?

    O Christ ! je ne suis pas de ceux que la prière
    Dans tes temples muets amène à pas trem­blants;
    Je ne suis pas de ceux qui vont à ton Calvaire,
    En se frappant le cœur, baiser tes pieds sanglants;
    Et je reste debout sous tes sacrés porti­ques,
    Quand ton peuple fidèle, autour des noirs arceaux,
    Se courbe en murmurant sous le vent des cantiques,
    Comme au souffle du nord un peuple de roseaux.
    Je ne crois pas, ô Christ ! à ta parole sainte :
    Je suis venu trop tard dans un monde trop vieux.
    D'un siècle sans espoir naît un siècle sans crainte;
    Les comètes du nôtre ont dépeuplé les cieux.


    Alfred de Musset, Rolla, extraits

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Message par Princeton Jeu 4 Juin 2015 - 0:13

Le Mont des Oliviers, Alfred de Vigny

I

Alors il était nuit et Jésus marchait seul,
Vêtu de blanc ainsi qu'un mort de son linceul ;
Les disciples dormaient au pied de la colline.
Parmi les oliviers qu'un vent sinistre incline
Jésus marche à grands pas en frissonnant comme eux ;
Triste jusqu'à la mort ; l'oeil sombre et ténébreux,
Le front baissé, croisant les deux bras sur sa robe
Comme un voleur de nuit cachant ce qu'il dérobe ;
Connaissant les rochers mieux qu'un sentier uni,
Il s'arrête en un lieu nommé Gethsémani :
Il se courbe, à genoux, le front contre la terre,
Puis regarde le ciel en appelant : Mon Père !
- Mais le ciel reste noir, et Dieu ne répond pas.
Il se lève étonné, marche encore à grands pas,
Froissant les oliviers qui tremblent. Froide et lente
Découle de sa tête une sueur sanglante.
Il recule, il descend, il crie avec effroi :
Ne pouviez-vous prier et veiller avec moi !
Mais un sommeil de mort accable les apôtres,
Pierre à la voix du maître est sourd comme les autres.
Le fils de l'homme alors remonte lentement.
Comme un pasteur d'Egypte il cherche au firmament
Si l'Ange ne luit pas au fond de quelque étoile.
Mais un nuage en deuil s'étend comme le voile
D'une veuve et ses plis entourent le désert.
Jésus, se rappelant ce qu'il avait souffert
Depuis trente-trois ans, devint homme, et la crainte
Serra son coeur mortel d'une invincible étreinte.
Il eut froid. Vainement il appela trois fois :
MON PÈRE ! - Le vent seul répondit à sa voix..
Il tomba sur le sable assis et, dans sa peine,
Eut sur le monde et l'homme une pensée humaine.
- Et la Terre trembla, sentant la pesanteur
Du Sauveur qui tombait aux pieds du créateur.

II

Jésus disait : " 0 Père, encor laisse-moi vivre !
Avant le dernier mot ne ferme pas mon livre !
Ne sens-tu pas le monde et tout le genre humain
Qui souffre avec ma chair et frémit dans ta main ?
C'est que la Terre a peur de rester seule et veuve,
Quand meurt celui qui dit une parole neuve ;
Et que tu n'as laissé dans son sein desséché
Tomber qu'un mot du ciel par ma bouche épanché.
Mais ce mot est si pur, et sa douceur est telle,
Qu'il a comme enivré la famille mortelle
D'une goutte de vie et de Divinité,
Lorsqu'en ouvrant les bras j'ai dit : FRATERNITE !

- Père, oh ! si j'ai rempli mon douloureux message,
Si j'ai caché le Dieu sous la face du Sage,
Du Sacrifice humain si j'ai changé le prix,
Pour l'offrande des corps recevant les esprits,
Substituant partout aux choses le Symbole,
La parole au combat, comme au trésor l'obole,
Aux flots rouges du Sang les flots vermeils du vin,
Aux membres de la chair le pain blanc sans levain ;
Si j'ai coupé les temps en deux parts, l'une esclave
Et l'autre libre ; - au nom du Passé que je lave
Par le sang de mon corps qui souffre et va finir :
Versons-en la moitié pour laver l'avenir !

Père Libérateur ! jette aujourd'hui, d'avance,
La moitié de ce Sang d'amour et d'innocence
Sur la tête de ceux qui viendront en disant :
"Il est permis pour tous de tuer l'innocent."
Nous savons qu'il naîtra, dans le lointain des âges,
Des dominateurs durs escortés de faux Sages
Qui troubleront l'esprit de chaque nation
En donnant un faux sens à ma rédemption.
Hélas ! je parle encor que déjà ma parole
Est tournée en poison dans chaque parabole ;
Eloigne ce calice impur et plus amer
Que le fiel, ou l'absinthe, ou les eaux de la mer.
Les verges qui viendront, la couronne d'épine,
Les clous des mains, la lance au fond de ma poitrine,
Enfin toute la croix qui se dresse et m'attend,
N'ont rien, mon Père, oh ! rien qui m'épouvante autant !
- Quand les Dieux veulent bien s'abattre sur les mondes,
Et n'y doivent laisser que des traces profondes,
Et si j'ai mis le pied sur ce globe incomplet
Dont le gémissement sans repos m'appelait,
C'était pour y laisser deux anges à ma place
De qui la race humaine aurait baisé la trace,
La Certitude heureuse et l'Espoir confiant
Qui dans le Paradis marchent en souriant.
Mais je vais la quitter, cette indigente terre,
N'ayant que soulevé ce manteau de misère
Qui l'entoure à grands plis, drap lugubre et fatal,
Que d'un bout tient le Doute et de l'autre le Mal.
Mal et Doute ! En un mot je puis les mettre en poudre ;
Vous les aviez prévus, laissez-moi vous absoudre
De les avoir permis. - C'est l'accusation
Qui pèse de partout sur la Création !
- Sur son tombeau désert faisons monter Lazare.
Du grand secret des morts qu'il ne soit plus avare
Et de ce qu'il a vu donnons-lui souvenir,
Qu'il parle. - Ce qui dure et ce qui doit finir ;
Ce qu'a mis le Seigneur au coeur de la Nature,
Ce qu'elle prend et donne à toute créature ;
Quels sont, avec le Ciel, ses muets entretiens,
Son amour ineffable et ses chastes liens ;
Comment tout s'y détruit et tout s'y renouvelle
Pourquoi ce qui s'y cache et ce qui s'y révèle ;
Si les astres des cieux tour à tour éprouvés
Sont comme celui-ci coupables et sauvés ;
Si la Terre est pour eux ou s'ils sont pour la Terre ;
Ce qu'a de vrai la fable et de clair le mystère,
D'ignorant le savoir et de faux la raison ;
Pourquoi l'âme est liée en sa faible prison ;
Et pourquoi nul sentier entre deux larges voies,
Entre l'ennui du calme et des paisibles joies
Et la rage sans fin des vagues passions,
Entre la Léthargie et les Convulsions ;
Et pourquoi pend la Mort comme une sombre épée
Attristant la Nature à tout moment frappée ;
- Si le Juste et le Bien, si l'Injuste et le Mal
Sont de vils accidents en un cercle fatal
Ou si de l'univers ils sont les deux grands pôles,
Soutenant Terre et Cieux sur leurs vastes épaules ;
Et pourquoi les Esprits du Mal sont triomphants
Des maux immérités, de la mort des enfants ;
- Et si les Nations sont des femmes guidées
Par les étoiles d'or des divines idées
Ou de folles enfants sans lampes dans la nuit,
Se heurtant et pleurant et que rien ne conduit ;
- Et si, lorsque des temps l'horloge périssable
Aura jusqu'au dernier versé ses grains de sable,
Un regard de vos yeux, un cri de votre voix,
Un soupir de mon coeur, un signe de ma croix,
Pourra faire ouvrir l'ongle aux Peines Eternelles,
Lâcher leur proie humaine et reployer leurs ailes ;
- Tout sera révélé dés que l'homme saura
De quels lieux il arrive et dans quels il ira. "

III

Ainsi le divin fils parlait au divin Père.
Il se prosterne encore, il attend, il espère,
Mais il renonce et dit : Que votre Volonté
Soit faite et non la mienne et pour l'Eternité.
Une terreur profonde, une angoisse infinie
Redoublent sa torture et sa lente agonie.
Il regarde longtemps, longtemps cherche sans voir.
Comme un marbre de deuil tout le ciel était noir.
La Terre sans clartés, sans astre et sans aurore,
Et sans clartés de l'âme ainsi qu'elle est encore,
Frémissait. - Dans le bois il entendit des pas,
Et puis il vit rôder la torche de Judas.

Le silence

S'il est vrai qu'au Jardin sacré des Ecritures,
Le Fils de l'Homme ait dit ce qu'on voit rapporté ;
Muet, aveugle et sourd au cri des créatures,
Si le Ciel nous laissa comme un monde avorté,
Le juste opposera le dédain à l'absence
Et ne répondra plus que par un froid silence
Au silence éternel de la Divinité.
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Message par Princeton Jeu 4 Juin 2015 - 0:23

Le Déserteur de Boris Vian

Monsieur le Président je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir
Monsieur le Président
je ne veux pas la faire
je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens
C’est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
je m’en vais déserter

Depuis que je suis né
J’ai vu mourir mon père
J’ai vu partir mes frères
Et pleurer mes enfants
Ma mère a tant souffert
Qu’elle est dedans sa tombe Et se moque des bombes
Et se moque des vers
Quand j’étais prisonnier
On m’a volé ma femme
On m’a volé mon âme
Et tout mon cher passé
Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J’irai sur les chemins

Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens
Refusez d’obéir
Refusez de la faire
N’allez pas à la guerre
Refusez de partir
S’il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n’aurai pas d’armes
Et qu’ils pourront tirer.

Boris Vian (1920 - 1959)
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Message par Pieyre Jeu 4 Juin 2015 - 0:27

    Écoutez la chanson bien douce
    Qui ne pleure que pour vous plaire.
    Elle est discrète, elle est légère :
    Un frisson d'eau sur de la mousse !

    La voix vous fut connue (et chère ?)
    Mais à présent elle est voilée
    Comme une veuve désolée,
    Mais comme elle encore fière,

    Et dans les longs plis de son voile
    Qui palpite aux brises d'automne,
    Cache et montre au cœur qui s'étonne
    La vérité comme une étoile.

    Elle dit, la voix reconnue,
    Que la bonté c'est notre vie,
    Que de la haine et de l'envie
    Rien ne reste, la mort venue.

    Elle parle aussi de la gloire
    D'être simple sans plus attendre,
    Et de noces d'or et du tendre
    Bonheur d'une paix sans victoire.

    Accueillez la voix qui persiste
    Dans son naïf épithalame.
    Allez, rien n'est meilleur à l'âme
    Que de faire une âme moins triste !

    Elle est en peine et de passage,
    L'âme qui souffre sans colère,
    Et comme sa morale est claire !...
    Écoutez la chanson bien sage.


    Paul Verlaine, Sagesse, I, XVI

Pieyre

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Message par Princeton Jeu 4 Juin 2015 - 0:34

I Go Back to May 1937
BY SHARON OLDS

I see them standing at the formal gates of their colleges,
I see my father strolling out
under the ochre sandstone arch, the
red tiles glinting like bent
plates of blood behind his head, I
see my mother with a few light books at her hip
standing at the pillar made of tiny bricks,
the wrought-iron gate still open behind her, its
sword-tips aglow in the May air,
they are about to graduate, they are about to get married,
they are kids, they are dumb, all they know is they are
innocent, they would never hurt anybody.
I want to go up to them and say Stop,
don’t do it—she’s the wrong woman,
he’s the wrong man, you are going to do things
you cannot imagine you would ever do,
you are going to do bad things to children,
you are going to suffer in ways you have not heard of,
you are going to want to die. I want to go
up to them there in the late May sunlight and say it,
her hungry pretty face turning to me,
her pitiful beautiful untouched body,
his arrogant handsome face turning to me,
his pitiful beautiful untouched body,
but I don’t do it. I want to live. I
take them up like the male and female
paper dolls and bang them together
at the hips, like chips of flint, as if to
strike sparks from them, I say
Do what you are going to do, and I will tell about it.
Princeton
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Message par Manubaliste Jeu 4 Juin 2015 - 0:57

Le vent d'Emile Verhaeren


Sur la bruyère longue infiniment,
Voici le vent cornant Novembre ;
Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent
Qui se déchire et se démembre,
En souffles lourds, battant les bourgs ;
Voici le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Aux puits des fermes,
Les seaux de fer et les poulies
Grincent ;
Aux citernes des fermes.
Les seaux et les poulies
Grincent et crient
Toute la mort, dans leurs mélancolies.

Le vent rafle, le long de l'eau,
Les feuilles mortes des bouleaux,
Le vent sauvage de Novembre ;
Le vent mord, dans les branches,
Des nids d'oiseaux ;
Le vent râpe du fer
Et peigne, au loin, les avalanches,
Rageusement du vieil hiver,
Rageusement, le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Dans les étables lamentables,
Les lucarnes rapiécées
Ballottent leurs loques falotes
De vitres et de papier.
- Le vent sauvage de Novembre ! -
Sur sa butte de gazon bistre,
De bas en haut, à travers airs,
De haut en bas, à coups d'éclairs,
Le moulin noir fauche, sinistre,
Le moulin noir fauche le vent,
Le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Les vieux chaumes, à cropetons,
Autour de leurs clochers d'église.
Sont ébranlés sur leurs bâtons ;
Les vieux chaumes et leurs auvents
Claquent au vent,
Au vent sauvage de Novembre.
Les croix du cimetière étroit,
Les bras des morts que sont ces croix,
Tombent, comme un grand vol,
Rabattu noir, contre le sol.

Le vent sauvage de Novembre,
Le vent,
L'avez-vous rencontré le vent,
Au carrefour des trois cents routes,
Criant de froid, soufflant d'ahan,
L'avez-vous rencontré le vent,
Celui des peurs et des déroutes ;
L'avez-vous vu, cette nuit-là,
Quand il jeta la lune à bas,
Et que, n'en pouvant plus,
Tous les villages vermoulus
Criaient, comme des bêtes,
Sous la tempête ?

Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent hurlant,
Voici le vent cornant Novembre.
Manubaliste
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Message par Princeton Jeu 4 Juin 2015 - 1:14

Do not stand at my grave and weep
I am not there; I do not sleep.
I am a thousand winds that blow,
I am the diamond glints on snow,
I am the sun on ripened grain,
I am the gentle autumn rain.
When you awaken in the morning's hush
I am the swift uplifting rush
Of quiet birds in circled flight.
I am the soft stars that shine at night.
Do not stand at my grave and cry,
I am not there; I did not die.

Masafumi Akikawa
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Message par Princeton Jeu 4 Juin 2015 - 1:15

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Message par Invité Jeu 4 Juin 2015 - 21:56


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Message par Pieyre Jeu 4 Juin 2015 - 22:08

    La jeune fille est blanche,
    elle a des veines vertes
    aux poignets, dans ses manches
    ouvertes.

    On ne sait pas pourquoi
    elle rit. Par moment
    elle crie et cela
    est perçant.

    Est‑ce qu'elle se doute
    qu'elle vous prend le cœur
    en cueillant sur la route
    des fleurs ?

    On dirait quelquefois
    Qu'elle comprend des choses...
    Pas toujours. Elle cause
    tout bas.

    « Oh ! ma chère ! Oh ! là là...
    ... Figure‑toi... mardi
    je l'ai vu... j'ai rri. » – Elle dit

    Quand un jeune homme souffre,
    d'abord elle se tait :
    elle ne rit plus, tout
    étonnée

    Dans les petits chemins,
    elle remplit ses mains
    de piquants de bruyères,
    de fougères.

    Elle est grande, elle est blanche,
    elle a des bras très doux.
    Elle est très droite et penche
    le cou.


    Francis Jammes, La jeune fille

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Message par Gianpao Ven 5 Juin 2015 - 0:57

Merci pour ce poème de Fancis James. C'est magnifiquement écrit. Je crois bien que Brassens avait mis en musique un ou deux de ses poèmes, un seul, vérification faite, c'est "La prière", vous connaissez : "Par le petit garçon qui meurt près de sa mère tandis que les enfants s'amusent au parterre..." C'est si beau que je croyais du Victor Hugo.
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Message par Invité Lun 8 Juin 2015 - 10:05

Ce n'est pas mon "poème préféré" mais j'ai bien aimé et comme le sujet est de circonstance...


L’intelligence, Alain Bosquet

L’intelligence dit que la fourmi travaille.
L’amour dit qu’elle souffre.
L’intelligence dit que la fleur est éclose.
L’amour dit qu’elle est belle et va mourir.
L’intelligence dit que la pierre est muette.
L’amour dit qu’elle a peur de parler.
L’intelligence dit que l’astre en cache d’autres.
L’amour dit qu’il est seul dans sa gloire infinie.
L’intelligence dit que la rivière coule.
L’amour dit qu’elle passe et que c’est triste.
L’intelligence dit qu’elle est lumière.
L’amour dit qu’il accepte d’être aveugle.
L’intelligence dit que le jour suit la nuit.
L’amour dit que le jour et la nuit se confondent.
L’intelligence dit qu’il faut comprendre.
L’amour dit qu’on a tort de trop s’interroger.
L’intelligence dit que l’oiseau vole.
L’amour dit que l’oiseau est un dieu.
L’intelligence dit que l’amour le dérange.
L’amour dit qu’il envie l’intelligence.


Le livre du doute et de la grâce
, 1977

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Message par Néfertiti Lun 8 Juin 2015 - 15:20

Je suis seul dans la plaine
Et dans la nuit
Avec les arbres recroquevillés de froid
Qui, coudes au corps, se serrent les uns tout contre les
autres.

Je suis seul dans la plaine
Et dans la nuit
Avec les gestes de désespoir pathétique des arbres
Que leurs feuilles ont quittés pour des îles d’élection.

Je suis seul dans la plaine
Et dans la nuit.
Je suis la solitude des poteaux télégraphiques
Le long des routes
Désertes.

Léopold Sédar Senghor, Je suis seul

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Message par Gianpao Lun 8 Juin 2015 - 23:17

C'est la première fois que je lis un poème de Senghor. Merci Néfer.
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Message par Gianpao Lun 8 Juin 2015 - 23:27

@ onagre, jolie illustration du dualisme, toujours une bonne contrainte pour l'écriture poétique.
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Message par Néfertiti Mar 9 Juin 2015 - 0:06

Mais de rien, Gianpao Smile

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Message par Umbria Sam 13 Juin 2015 - 0:28

Demain, dès l'aube...

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor HUGO
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Message par Néfertiti Sam 13 Juin 2015 - 0:40

Je me rappelle l'avoir posté ce poème de Victor Hugo mais c'est cool de le relire. C'est beau, c'est triste, c'est plein d'espoir.

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Message par Pieyre Sam 13 Juin 2015 - 0:45

« Le plus grand poète français ? » demandait un critique. « Victor Hugo, hélas ! » répondit André Gide.
Mais là, c'est toujours aussi magnifique. Je me prends encore une fois à faire comme si je croyais à une rencontre amoureuse, sans presque anticiper la fin qui la dément.

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Message par Pieyre Sam 13 Juin 2015 - 1:01

    Ce toit tranquille, où marchent des colom­bes,
    Entre les pins palpite, entre les tombes;
    Midi le juste y compose de feux
    La mer, la mer, toujours recommencée !
    Ô récompense après une pensée
    Qu'un long regard sur le calme des dieux !

    Quel pur travail de fins éclairs consume
    Maint diamant d'imperceptible écume,
    Et quelle paix semble se concevoir !
    Quand sur l'abîme un soleil se repose,
    Ouvrages purs d'une éternelle cause,
    Le Temps scintille et le Songe est savoir.

    Stable trésor, temple simple à Minerve,
    Masse de calme, et visible réserve,
    Eau sourcilleuse, Œil qui gardes en toi
    Tant de sommeil sous un voile de flamme,
    Ô mon silence !... Édifice dans l'âme,
    Mais comble d'or aux mille tuiles, Toit !

    Temple du Temps, qu'un seul soupir résume,
    À ce point pur je monte et m'accoutume,
    Tout entouré de mon regard marin;
    Et comme aux dieux mon offrande suprême,
    La scintillation sereine sème
    Sur l'altitude un dédain souverain.

    Comme le fruit se fond en jouissance,
    Comme en délice il change son absence
    Dans une bouche où sa forme se meurt,
    Je hume ici ma future fumée,
    Et le ciel chante à l'âme consumée
    Le changement des rives en rumeur.

    Beau ciel, vrai ciel, regarde‑moi qui change !
    Après tant d'orgueil, après tant d'étrange
    Oisiveté, mais pleine de pouvoir,
    Je m'abandonne à ce brillant espace,
    Sur les maisons des morts mon ombre passe
    Qui m'apprivoise à son frêle mouvoir.

    L'âme exposée aux torches du solstice,
    Je te soutiens, admirable justice
    De la lumière aux armes sans pitié !
    Je te rends pure à ta place première :
    Regarde‑toi !... Mais rendre la lumière
    Suppose d'ombre une morne moitié.

    Ô pour moi seul, à moi seul, en moi‑même,
    Auprès d'un cœur, aux sources du poème,
    Entre le vide et l'événement pur,
    J'attends l'écho de ma grandeur interne,
    Amère, sombre et sonore citerne,
    Sonnant dans l'âme un creux toujours futur !

    Sais‑tu, fausse captive des feuillages,
    Golfe mangeur de ces maigres grillages,
    Sur mes yeux clos, secrets éblouissants,
    Quel corps me traîne à sa fin paresseuse,
    Quel front l'attire à cette terre osseuse ?
    Une étincelle y pense à mes absents.

    Fermé, sacré, plein d'un feu sans matière,
    Fragment terrestre offert à la lumière,
    Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux,
    Composé d'or, de pierre et d'arbres som­bres,
    Où tant de marbre est tremblant sur tant d'ombres;
    La mer fidèle y dort sur mes tombeaux !

    Chienne splendide, écarte l'idolâtre !
    Quand solitaire au sourire de pâtre,
    Je pais longtemps, moutons mystérieux,
    Le blanc troupeau de mes tranquilles tombes,
    Éloignes‑en les prudentes colombes,
    Les songes vains, les anges curieux !

    Ici venu, l'avenir est paresse.
    L'insecte net gratte la sécheresse;
    Tout est brûlé, défait, reçu dans l'air
    À je ne sais quelle sévère essence...
    La vie est vaste, étant ivre d'absence,
    Et l'amertume est douce, et l'esprit clair.

    Les morts cachés sont bien dans cette terre
    Qui les réchauffe et sèche leur mystère.
    Midi là‑haut, Midi sans mouvement
    En soi se pense et convient à soi‑même...
    Tête complète et parfait diadème,
    Je suis en toi le secret changement.

    Tu n'as que moi pour contenir tes craintes !
    Mes repentirs, mes doutes, mes contraintes
    Sont le défaut de ton grand diamant...
    Mais dans leur nuit toute lourde de mar­bres,
    Un peuple vague aux racines des arbres
    A pris déjà ton parti lentement.

    Ils ont fondu dans une absence épaisse,
    L'argile rouge a bu la blanche espèce,
    Le don de vivre a passé dans les fleurs !
    Où sont des morts les phrases familières,
    L'art personnel, les âmes singulières ?
    La larve file où se formaient les pleurs.

    Les cris aigus des filles chatouillées,
    Les yeux, les dents, les paupières mouil­lées,
    Le sein charmant qui joue avec le feu,
    Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent,
    Les derniers dons, les doigts qui les défendent,
    Tout va sous terre et rentre dans le jeu !

    Et vous, grande âme, espérez‑vous un songe
    Qui n'aura plus ces couleurs de mensonge
    Qu'aux yeux de chair l'onde et l'or font ici ?
    Chanterez‑vous quand serez vaporeuse ?
    Allez ! Tout fuit ! Ma présence est poreuse,
    La sainte impatience meurt aussi !

    Maigre immortalité noire et dorée,
    Consolatrice affreusement laurée,
    Qui de la mort fais un sein maternel,
    Le beau mensonge et la pieuse ruse !
    Qui ne connaît, et qui ne les refuse,
    Ce crâne vide et ce rire éternel !

    Pères profonds, têtes inhabitées,
    Qui sous le poids de tant de pelletées,
    Êtes la terre et confondez nos pas,
    Le vrai rongeur, le ver irréfutable
    N'est point pour vous qui dormez sous la table,
    Il vit de vie, il ne me quitte pas !

    Amour, peut‑être, ou de moi‑même haine ?
    Sa dent secrète est de moi si prochaine
    Que tous les noms lui peuvent convenir !
    Qu'importe ! Il voit, il veut, il songe, il touche !
    Ma chair lui plaît, et jusque sur ma couche,
    Ce vivant je vis d'appartenir !

    Zénon ! Cruel Zénon ! Zénon d'Élée !
    M'as‑tu percé de cette flèche ailée
    Qui vibre, vole, et qui ne vole pas !
    Le son m'enfante et la flèche me tue !
    Ah ! le soleil... Quelle ombre de tortue
    Pour l'âme, Achille immobile à grands pas !

    Non, non !... Debout ! Dans l'ère successive !
    Brisez, mon corps, cette forme pensive !
    Buvez, mon sein, la naissance du vent !
    Une fraîcheur, de la mer exhalée,
    Me rend mon âme... Ô puissance salée !
    Courons à l'onde en rejaillir vivant !

    Oui ! Grande mer de délires douée,
    Peau de panthère et chlamyde trouée
    De mille et mille idoles du soleil,
    Hydre absolue, ivre de ta chair bleue,
    Qui te remords l'étincelante queue
    Dans un tumulte au silence pareil.

    Le vent se lève !... il faut tenter de vivre !
    L'air immense ouvre et referme mon livre,
    La vague en poudre ose jaillir des rocs !
    Envolez‑vous, pages tout éblouies !
    Rompez, vagues ! Rompez d'eaux réjouies
    Ce toit tranquille où picoraient des focs !


    Paul Valéry, Le cimetière marin

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Message par Clausule Sam 13 Juin 2015 - 21:36

Cinquième livre
La Quête de joie

Prélude

Tous les pays qui n’ont plus de légende
Seront condamnés à mourir de froid...

Loin dans l’âme, les solitudes s’étendent
Sous le soleil mort de l’amour de soi.
À l’aube on voit monter dans la torpeur
Du marais, les bancs de brouillard immenses
Qu’emploient les poètes, par impuissance,
Pour donner le vague à l’âme et la peur.

Il faut les respirer quand ils s’élèvent
Et jouir de ce frisson inconnu
Que l’on découvre à peine dans les rêves,
Dans les paradis parfois entrevus ;
Les médiocres seuls, les domestiqués
Ne pourront comprendre son amertume :
Ils n’entendent pas, perdu dans la brume,
Le cri farouche des oiseaux traqués.

C’était le pays des anges sauvages,
Ceux qui n’avaient pu se nourrir d’amour ;
Comme toutes les bêtes de passage,
Ils suivaient les vents qui changeaient toujours ;
Ils montaient parfois dans les cœurs élus,
Abandonnant la fadeur de la terre,
Mais ils sentaient battre dans leurs artères
Le regret des cieux qu’ils ne verraient plus !

Alors ils s’en allaient des altitudes
Poussés par l’orgueil et la lâcheté ;
On ne les surprend dans nos solitudes
Que si rarement ; ils ont tout quitté.
Leur légende est morte dans les bas-fonds,
On les voit errer dans les yeux des femmes,
Et dans ces enfants qui passent dans l’âme
En fin septembre, tels des vagabonds ;

Il en est pourtant qui rôdent dans l’ombre
Et ne doivent pas s’arrêter très loin ;
Je sais qu’ils se baignent par les nuits sombres
Pour que leurs ébats n’aient pas de témoins.
– Mais si déchirant monte alors leur cri
Qu’il semble briser toutes les poitrines,
Et va se perdre aux cimes de l’esprit
Comme un appel lointain de sauvagine.

[...]

Patrice de La Tour du Pin, Poèmes choisis, édition présentée par Claude Arnaud, Emmanuel de Calan et Jean-Matthieu de l’Epinois, p. 66
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Message par Clausule Sam 13 Juin 2015 - 21:38

J’aime l’âne si doux
marchant le long des houx.

Il prend garde aux abeilles
et bouge ses oreilles ;

et il porte les pauvres
et des sacs remplis d’orge.

Il va, près des fossés,
d’un petit pas cassé.

Mon amie le croit bête
parce qu’il est poète.

Il réfléchit toujours.
Ses yeux sont en velours.

Jeune fille au doux cœur,
tu n’as pas sa douceur :

car il est devant Dieu
l’âne doux du ciel bleu.

Et il reste à l’étable,
fatigué, misérable,

ayant bien fatigué
ses pauvres petits pieds.

Il a fait son devoir
du matin jusqu’au soir.

Qu’as-tu fait jeune fille ?
Tu as tiré l’aiguille...

Mais l’âne s’est blessé :
la mouche l’a piqué.

Il a tant travaillé
que ça vous fait pitié.

Qu’as-tu mangé petite ?
— T’as mangé des cerises.

L’âne n’a pas eu d’orge,
car le maître est trop pauvre.

Il a sucé la corde,
puis a dormi dans l’ombre...

La corde de ton cœur
n’a pas cette douceur.

Il est l’âne si doux
marchant le long des houx.

J’ai le cœur ulcéré :
ce mot-là te plairait.

Dis-moi donc, ma chérie,
si je pleure ou je ris ?

Va trouver le vieil âne,
et dis-lui que mon âme

est sur les grands chemins,
comme lui le matin.

Demande-lui, chérie,
si je pleure ou je ris ?

Je doute qu’il réponde :
il marchera dans l’ombre,

crevé par la douceur,
sur le chemin en fleurs.

Francis Jammes


Dernière édition par Clausule le Sam 13 Juin 2015 - 21:39, édité 1 fois (Raison : Traduction?)
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Message par Clausule Sam 13 Juin 2015 - 21:58

Voici la nuit,
L’immense nuit des origines,
Et rien n’existe hormis l’amour,
Hormis l’amour qui se dessine :
En séparant le sable et l’eau,
Dieu préparait comme un berceau,
La terre où il viendrait au jour.


Voici la nuit,
L’heureuse nuit de Palestine,
Et rien n’existe hormis l’Enfant,
Hormis l’Enfant de vie divine :
En prenant chair de notre chair,
Dieu transformait tous nos déserts,
En terre d’immortels printemps.


Voici la nuit,
L’immense nuit sur la colline,
Et rien n’existe hormis le Corps,
Hormis le Corps criblé d’épines :
En devenant un crucifié,
Dieu fécondait comme un verger,
La terre où le plantait la mort.


Voici la nuit,
L’immense nuit qui s’illumine,
Et rien n’existe hormis Jésus,
Hormis Jésus où tout culmine :
En s’arrachant à nos tombeaux,
Dieu conduisait au jour nouveau,
La terre où il était vaincu.


Voici la nuit,
La longue nuit où l’on chemine,
Et rien n’existe hormis ce lieu,
Hormis ce lieu d’espoir en ruine :
En s’arrêtant dans nos maisons,
Dieu préparait comme un buisson,
La terre où tomberait le feu.



Didier Rimaud
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Message par Kodiak Mar 16 Juin 2015 - 18:32

Louis Aragon, mis en musique par G Brassens :

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Message par Clausule Mar 23 Juin 2015 - 15:12

Mon cœur d’enfant, un inconnu me l’a ravi.
- Je l’ai donné car autrement l’eut-il su prendre ? –
Il m’appelait, un soir, impérieux et tendre
Et moi je l’ai suivi.

Je le suivais. Il m’a mené à sa maison.
Les fenêtres m’ont ri de loin, la grille verte
Du jardin a chanté quand nous l’avons ouverte…
C’était une prison.

Et moi qui lui portais mon amour à loger,
Je lui criais : « Je viens, prends-moi, garde-moi toute ! »
Je croyais que j’avais un compagnon de route
C’est un maître que j’ai.

Je ne sais ce qu’il fit. Il était maladroit,
Sans le vouloir, bien sur, il étouffa mon âme.
La tenant trop serrée il éteignit sa flamme
Et maintenant j’ai froid.

Jadis, les mouvements imprévus de mon cœur,
Je les faisais ; les mots qui passaient dans ma tête,
Je les disais. Dire et faire étaient une fête,
Mais maintenant j’ai peur. […]

Et vers le soir, je suis si lasse de choisir
Entre mes actions de quoi le satisfaire
Et si lasse d’avoir voulu tout le contraire
De mon pauvre désir,

Que j’attends, toujours prise au même espoir déçu,
Le mot qui tombera doucement de sa bouche
Pour pouvoir reposer, comme un enfant qu’on couche,
Longtemps mon cœur dessus.

S’il le disait, même à moitié, même tout bas,
Je me le redirais la nuit étant couchée,
Je me réchaufferais à sa tiédeur cachée…
Mais il ne le dit pas.

Et tandis que le jour autour de moi finit,
Soudain il me semble être une petite fille
Perdue, au fond des bois, sans abri, sans famille,
Oiseau tombé du nid. […]

Mon bien-aimé hier faut-il le craindre ainsi !
Faut-il que mon repos s’enfuie à son approche
Et qu’à son ombre – ô Dieu, ce n’est pas un reproche –
Mon cœur se soit transi !

Ah ! qu’a-t-il fait comment ? lui, juste avec chacun,
Qui n’a jamais lésé d’un fétu le plus riche,
Et jamais renvoyé, le ton dur, la main chiche,
Un malheureux à jeun ; […]

Comment donc a-t-il fait cet homme dont la main
Redresse avec douceur une branche qui ploie,
Las ! comment a-t-il fait pour m’enlever ma joie,
Lui qui gagne mon pain ?

Et pour changer l’enfant, qui le suivait hier
Avec tous les oiseaux du printemps en son âme,
Pour la changer si tôt, si vite, en vieille femme  
Glacée avant l’hiver.

Marie Noël, Les chants de la merci. Stock.
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Message par Invité Ven 16 Oct 2015 - 15:01

Victor HUGO  

La conscience

Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
Echevelé, livide au milieu des tempêtes,
Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
Comme le soir tombait, l'homme sombre arriva
Au bas d'une montagne en une grande plaine ;
Sa femme fatiguée et ses fils hors d'haleine
Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. »
Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
Il vit un oeil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
Et qui le regardait dans l'ombre fixement.
« Je suis trop près », dit-il avec un tremblement.
Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
Et se remit à fuir sinistre dans l'espace.
Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
Sans repos, sans sommeil; il atteignit la grève
Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
« Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. »
Et, comme il s'asseyait, il vit dans les cieux mornes
L'oeil à la même place au fond de l'horizon.
Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
« Cachez-moi ! » cria-t-il; et, le doigt sur la bouche,
Tous ses fils regardaient trembler l'aïeul farouche.
Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont
Sous des tentes de poil dans le désert profond :
« Etends de ce côté la toile de la tente. »
Et l'on développa la muraille flottante ;
Et, quand on l'eut fixée avec des poids de plomb :
« Vous ne voyez plus rien ? » dit Tsilla, l'enfant blond,
La fille de ses Fils, douce comme l'aurore ;
Et Caïn répondit : « je vois cet oeil encore ! »
Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs
Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
Cria : « je saurai bien construire une barrière. »
Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.
Et Caïn dit « Cet oeil me regarde toujours! »
Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours
Si terrible, que rien ne puisse approcher d'elle.
Bâtissons une ville avec sa citadelle,
Bâtissons une ville, et nous la fermerons. »
Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
Construisit une ville énorme et surhumaine.
Pendant qu'il travaillait, ses frères, dans la plaine,
Chassaient les fils d'Enos et les enfants de Seth ;
Et l'on crevait les yeux à quiconque passait ;
Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,
On lia chaque bloc avec des noeuds de fer,
Et la ville semblait une ville d'enfer ;
L'ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
Ils donnèrent aux murs l'épaisseur des montagnes ;
Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d'entrer. »
Quand ils eurent fini de clore et de murer,
On mit l'aïeul au centre en une tour de pierre ;
Et lui restait lugubre et hagard. « Ô mon père !
L'oeil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla.
Et Caïn répondit : " Non, il est toujours là. »
Alors il dit: « je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
On fit donc une fosse, et Caïn dit « C'est bien ! »
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre
Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain,
L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn.

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Message par Petite Perle Givrée Ven 4 Déc 2015 - 3:58

En voilà un qui me parle spécialement ce soir et que j'ai découvert précisément ce soir dans un livre merveilleux.

“Si je pouvais”     [S. Prudhomme]



Si je pouvais aller lui dire:
“ Elle est à vous et ne m’inspire
Plus rien, même plus d’amitié;
Je n’en ai plus pour cette ingrate,
Mais elle est pâle, délicate :
Ayez soin d’elle par pitié."

“Écoutez-moi sans jalousie,
Car l’aile de sa fantaisie
N’a fait, hélas! que m’effleurer ;
Je sais comment sa main repousse,
Mais pour ceux qu’elle aime elle est douce.
Ne la faites jamais pleurer.”
Si je pouvais aller lui dire :
“Elle est triste et lente à sourire ;
Donnez-lui des fleurs chaque jour,
Des bleuets plutôt que des roses :
C’est l’offrande des moindres choses
Qui recèle le plus d’amour.”

Je pourrais vivre avec l’idée
Qu’elle est chérie et possédée
Non par moi, mais selon mon cœur...
Méchante enfant qui m’abandonnes,
Vois le chagrin que tu me donnes :
Je ne peux rien pour ton bonheur!

[Sully Prudhomme, Stance et Poèmes ; Femmes]
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Message par Invité Ven 4 Déc 2015 - 8:41

...


Dernière édition par Kaiin le Jeu 28 Jan 2016 - 16:09, édité 1 fois

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Message par mypseudo Ven 4 Déc 2015 - 9:24

De Lumière


des mots deviennent hors de prix
la vie augmente
on ne va
bientôt plus pouvoir dire je
suis ici ou j’étais là
on est chassé de l’espace
on est poussé hors du temps
le langage n’a pas prévu
ces choses depuis qu’on invente
que les cris remplacent les mots
et des bouches de silence
mâchent l’air
on n’entend plus
rien d’autre
ce silence approche
et ma voix à quoi sert ma
voix si je ne sais plus les mots
s’ils s’en vont de nous aussi

je me rattrape
par les yeux
à tous les corps
car chacun
est un soleil
je le sais
puisque je vais
de lumière
en lumière à
chaque rencontre
et je me fais
ainsi de
jour en jour
mon propre
système solaire

pas tout entier visage
non
tout entier tous les visages
je n’arrête pas de changer
comme un instant met au monde
l’autre instant
et j’ai du mal
à vivre tant d’infini


Henri Meschonnic. Tout entier visage, Afruyen, 2005

et poème de gherasim luca (que j'adore) mis en musique par Arthur H : Prendre corps

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Message par Fluegel Lun 14 Déc 2015 - 10:52

Gingko Biloba, Goethe

Dieses Baums Blatt, der von Osten
Meinem Garten anvertraut,
Giebt geheimen Sinn zu kosten,
Wie's den Wissenden erbaut,

Ist es Ein lebendig Wesen,
Das sich in sich selbst getrennt?
Sind es zwei, die sich erlesen,
Daß man sie als Eines kennt?

Solche Frage zu erwidern,
Fand ich wohl den rechten Sinn,
Fühlst du nicht an meinen Liedern,
Daß ich Eins und doppelt bin?

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Message par Kodiak Lun 14 Déc 2015 - 11:10

Baudelaire – L’Examen de Minuit


La pendule, sonnant minuit,
Ironiquement nous engage
À nous rappeler quel usage
Nous fîmes du jour qui s’enfuit :
— Aujourd’hui, date fatidique,
Vendredi, treize, nous avons,
Malgré tout ce que nous savons,
Mené le train d’un hérétique.

Nous avons blasphémé Jésus,
Des Dieux le plus incontestable !
Comme un parasite à la table
De quelque monstrueux Crésus,
Nous avons, pour plaire à la brute,
Digne vassale des Démons,
Insulté ce que nous aimons
Et flatté ce qui nous rebute ;

Contristé, servile bourreau,
Le faible qu’à tort on méprise ;
Salué l’énorme bêtise,
La Bêtise au front de taureau ;
Baisé la stupide Matière
Avec grande dévotion,
Et de la putréfaction
Béni la blafarde lumière.

Enfin, nous avons, pour noyer
Le vertige dans le délire,
Nous, prêtre orgueilleux de la Lyre,
Dont la gloire est de déployer
L’ivresse des choses funèbres,
Bu sans soif et mangé sans faim !...
— Vite soufflons la lampe, afin
De nous cacher dans les ténèbres !
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Message par Invité Dim 31 Jan 2016 - 13:06

La Coccinelle
Elle me dit: «Quelque chose
Me tourmente.» Et j'aperçus
Son cou de neige, et dessus,
Un petit insecte rose.

J'aurais dû, mais, sage ou fou,
A seize ans, on est farouche,
Voir le baiser sur sa bouche
Plus que l'insecte à son cou.

On eût dit un coquillage;
Dos rose et taché de noir.

Les fauvettes pour nous voir
Se penchaient dans le feuillage.

Sa bouche fraîche était là;
Je me courbai sur la belle,

Et je pris la coccinelle;
Mais le baiser s'envola.

«Fils, apprends comme on me nomme»,
Dit l'insecte du ciel bleu,
«Les bêtes sont au bon Dieu;
Mais la bêtise est à l'homme.»


Victor Hugo, Paris, mai 1830.

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Message par chaton-pitbull Jeu 11 Fév 2016 - 16:31

La Voix

Mon berceau s'adossait à la bibliothèque,
Babel sombre, où roman, science, fabliau,
Tout, la cendre latine et la poussière grecque,
Se mêlaient. J'étais haut comme un in-folio.
Deux voix me parlaient. L'une, insidieuse et ferme,
Disait: «La Terre est un gâteau plein de douceur;
Je puis (et ton plaisir serait alors sans terme!)
Te faire un appétit d'une égale grosseur.»
Et l'autre: «Viens! oh! viens voyager dans les rêves,
Au delà du possible, au delà du connu!»
Et celle-là chantait comme le vent des grèves,
Fantôme vagissant, on ne sait d'où venu,
Qui caresse l'oreille et cependant l'effraie.
Je te répondis: «Oui! douce voix!» C'est d'alors
Que date ce qu'on peut, hélas! nommer ma plaie
Et ma fatalité. Derrière les décors
De l'existence immense, au plus noir de l'abîme,
Je vois distinctement des mondes singuliers,
Et, de ma clairvoyance extatique victime,
Je traîne des serpents qui mordent mes souliers.
Et c'est depuis ce temps que, pareil aux prophètes,
J'aime si tendrement le désert et la mer;
Que je ris dans les deuils et pleure dans les fêtes,
Et trouve un goût suave au vin le plus amer;
Que je prends très souvent les faits pour des mensonges,
Et que, les yeux au ciel, je tombe dans des trous.
Mais la voix me console et dit: «Garde tes songes:
Les sages n'en ont pas d'aussi beaux que les fous!»

— Charles Baudelaire
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Message par Carquand Ven 12 Fév 2016 - 18:40

Je veux être confondu...
  ou LA HALTE DU PROPHÈTE


À Claude Sernet


Vous vous trompez je ne suis pas celui qui monte
Je suis l’autre toujours celui qu’on n’attend pas
Ma face sous le masque rouge gloire et honte
Tourne au vent que je veux pour seul guide à mes pas
J’assumerai l’immobilité des statues
Sous la colère de l’orage aux gestes tors
Qui rompt au sol vos fronts ruines abattues
Mais me laisse debout n’ayant raison ni tort
Qu’espérez-vous de moi seul droit dans la tourmente
Terriblement absent roide et froid sans sommeil
Pour parler aux vieux morts il faut trouver la fente
Par où filtre un rayon noir de l’autre soleil
Et si je tombe avant le soir sur la grand-route
La face contre terre et les deux bras en croix
Du fond de tout l’influx de force sourd en moi
Je me redresserai pour la nuit des déroutes
Et je remonterai vers vous comme la voix
Des grandes eaux hurlant sous les nocturnes voûtes
Avant l’heure et le signe advenus laissez-moi
Laissez-moi seul vous tous qui niez le prophète
Transmuant toute vie en un retournement
Du sens illuminé par d’immortels tourments
Laissez-moi dans le vide atroce de ma tête
Confondant confondu confondu confondant

- Roger Gilbert-Lecomte
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Message par Carquand Ven 12 Fév 2016 - 18:42

JE N'AI PAS PEUR DU VENT

Toi qui hurles sans gueule
Mords sans dents
Fascines sans yeux
Face creuse
Toi qui fais bondir la pantomime des ombres et des lumières
Coupes sans faux
Arraches claques et bats
Sans bras sans mains sans fouets sans fléau
Fléau toi-même vent levant du Levant
Toi qui mets le tonnerre au cœur de la forêt
Et fais courir les géants de sable au désert
Père des vagues des cyclones des tornades
Déformant d'hystérie la face de la mer
Jusqu'à la trombe
Coït de l'eau salée et du ciel sucré
Char ailé de la dame blanche reine des tempêtes de neige
Toi qui bossues les dunes
Et les dos des chameaux
Toi qui ébouriffes la crinière des lions
Qui fais gémir les loups
Et chanter les roseaux les bambous
Les sistres et les harpes
Toi qui fais tomber les pots de fleur sur les sommets des citoyens pour leur ouvrir la tête siège de la compréhension
Et descendre les avalanches dans les vallées pour les
emplir
Toi qui berces les ailes étalées du sommeil de l'oiseau
sans pattes
ui naît en l'air
Et va se suicider aux cimes coupantes du ciel
Toi qui trousses les cottes
Et dévastes les côtes
Les côtes en falaises et les côtes en os
Toi qui horripiles les peaux
Secoues les oripeaux les drapeaux les persiennes
Les plis des manteaux des voyageurs égarés les arbres
Les fantômes et les allumettes perdus dans l'immensité
Toi qui ondules les ondes et les chevelures
Fais cligner les yeux et les flammes
Claquer les oriflammes
Grand voyou chérubin démesuré
Clown des tourbillons
Sculpteur de nuages
Roi des métamorphoses
Toi qui fais vivre éperdument les choses qui sans toi
Seraient vouées à l'inertie la plus plate
Immense père des spectres et des frissons
Toi qui animes la gesticulation des rideaux mystère
Dans les châteaux hantés…

- Roger Gilbert-Lecomte
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