Cagibi 24 août 2021

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Cagibi 24 août 2021 Empty Cagibi 24 août 2021

Message par Shadow Boxeur Ven 6 Mai 2022 - 12:16

Cagibi

Quand j’étais petit, mes parents m’ont un jour puni et mis au cagibi, je crois.
Pas ce cagibi habituel, pièce sombre où l’on accumule les objets inutiles ou sans destination, où l’on vous place pour y être seul le temps de retrouver vos esprits ou votre calme et ne plus faire de bêtises. Cette pièce où petit, vous pouvez nourrir la peur de monstres cachés.
Non, un cagibi peuplé d’êtres vivants, eux aussi sans propriétaires ou destination, non pas cassés et à mettre au rebut du cagibi, mais abîmés certainement. Il s’agissait d’un foyer de l’assistance sociale. Cagibi non pas rempli de monstres, quoique, ceux qui m’ont agressé dans la nuit devaient l’être, en partie.
Cela devait faire partie de la punition, certainement.
A la sortie du cagibi, je n’ai rien dit je crois, je ne sais plus.
Mais la punition avait dû être assez violente pour que je m’efforce de l’oublier, ne plus y penser pour ne pas avoir à nouveau mal.
J’y ai réussi.
C’est vers trente ans que je me suis rendu compte que j’avais effacé de ma mémoire une bonne partie de mon enfance. A cette époque j’avais rejoint volontairement une autre sorte de cagibi. Pour je ne savais alors quelle raison, j’avais connu des jours de souffrance durant lesquels je songeais à mettre fin à mes jours et en imaginais toutes les voies possibles pour y parvenir. A bout de fatigue, à lutter contre cette tentation qui ne disparaissait pas, j’avais demandé à être pris en charge pour que cela cesse. J’avais rejoint le « cagibi des fous », car il faut être fou pour entendre des voix dans sa tête qui vous poussent à vous tuer, non ? Dans ce cagibi qui n’était pas cette fois-là une punition, une certaine parole avec mes proches, différente, a été possible et a mis au jour ces effacements de ma mémoire. Je suis assez vite sorti du cagibi pour retourner dans le monde normal, des trous dans ma mémoire, que j’ai vite à leur tour oubliés sans plus y penser.
Ce n’est que plus tard vers cinquante ans que quelques-uns de ces trous se sont comblés pour rejoindre le « cagibi des victimes », mais ce n’est pas le sujet ici.

Si j’avais enfoui la blessure dans l’oubli, sans qu’elle ne cicatrise jamais, me restait bien présente, sans que je sache la nommer, la peur du cagibi, je crois.
Alors s’effacer peut-être pour ne plus être vu au risque d’être renvoyé au cagibi, ou chercher la perfection ou encore à tout prix vouloir vous conformer à ce qui vous semble attendu de vous, ou à des modèles que vous trouvez ici et là dans vos livres.

Mais cela n’est pas un comportement tout à fait normal, ou compréhensible.
Vous êtes vite affublé d’étiquettes et d’habits qui ne sont pas les vôtres, mais qui ont le mérite de donner une explication à l’incompréhensible.
Solitaire, orgueilleux, égoïste, caractériel, anormal, inadapté, asocial, …
Parfois vous ne faîtes que les surprendre dans les conversations des adultes, parfois elles vous sont ouvertement reprochées et vous êtes sommé de changer si vous ne voulez pas retourner au cagibi.
Et plus vous essayez de nouveaux costumes, moins vous êtes naturel et vous vous perdez de vue. Avec un naturel qui est toujours là, enfermé, mis au placard, et qui parfois ne peut que ressortir, respirer une bouffée du monde un instant avant de repartir en apnée.

Cela vous fait souffrir, vous met en colère, mais surtout ne rien dire, ou ne pas savoir le dire sans avoir peur du « Puni, cagibi ! ».
Mais vos yeux vous trahissent. Votre colère ou votre jugement s’y lisent et peuvent faire peur.

Parfois, sans que vous compreniez pourquoi, une douleur indéfinissable et un profond mal-être vous envahissent. Vous ne savez pas l’expliquer. Vous ne pouvez pas. Ou ne voulez pas, encore un comportement pas tout à fait normal ni compréhensible, pas la peine d’en rajouter à la liste de vos défauts et tares.
La seule chose que vous savez faire est de vous isoler physiquement, sinon en vous, le temps que cela passe. Mais cela encore n’est pas compréhensible. Et vous devez expliquer, justifier, corriger.

A force de tout cela, d’être sans cesse au monde sous des masques qui vous feront accepter sans être condamné au cagibi, vous avez un jour besoin d’un espace où vous pouvez être vous-même et respirer sans peur librement.

Et vous vous condamnez à construire votre propre cagibi et à vous y mettre.

Vous vous y enfermez pour ne plus déranger. Vous êtes fatigué de déranger sans cesse.
Vous vous y enfermez pour ne pas vous engager dans le monde ni l’avenir. Vous êtes fatigué d’avoir été trop souvent été renvoyé au cagibi quand vous vous y êtes essayé.
Vous vous y enfermez pour être seul, seul responsable de votre mésestime, cette responsabilité est moins douloureuse que ce que vous lisez parfois dans les regards, ou les critiques qui vous sont adressées.
Le plus souvent, quelques minutes, un moment, vous suffisent dans votre cagibi pour avoir ce qu’il faut de paix et de repos pour le reste de la journée.
Vous vous levez avant tout le monde le matin pour respirer vraiment, avant d’affronter la peur de vous étouffer qui vous laissera en apnée une bonne part de la journée.

Mais c’est un cagibi paradoxal, que vous avez fabriqué en vous, qui vous accompagne partout et ne vous quitte jamais, dont vous ne savez vous séparer.

Dans le monde, vous êtes présent, là dans la lumière, ou absent c’est selon, mais aussi dans la pénombre de votre cagibi. Vous êtes dedans et dehors, lumineux et obscur, toujours un peu absent sans être jamais totalement présent, jamais suffisamment absent pour que votre présence ne blesse toujours et ne vous renvoie aux cagibis des « autres », vous savez, cet « enfer ». Vous êtes paradoxal et cela doit être résolu, sinon « Puni, cagibi ! ».

Le paradoxe doit être résolu, peut-être parce son incompréhensibilité agresse, questionne, crée des peurs.
Il doit être trop difficile de tolérer qu’il ne soit pas résolu, ce paradoxe n’est peut-être pas acceptable ni tolérable lui-même.

S’il est vrai que ce paradoxe que vous êtes est difficilement acceptable et tolérable, vous ne pouvez quant à vous vous résigner à le résoudre, car vous savez que le prix à payer est la perte de valeur du paradoxe.

Alors vous gardez votre cagibi pour ne pas vous éliminer à résoudre ce paradoxe, pour simplement gagner le droit d’exister librement dans la foule.
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