Plaignez-vous de votre don, mais pas trop quand même.

4 participants

Aller en bas

Plaignez-vous de votre don, mais pas trop quand même. Empty Plaignez-vous de votre don, mais pas trop quand même.

Message par Fata Morgana Dim 5 Juin 2011 - 10:48

Rien n'était moi. Je mimais des comportements et des mots qui n'étaient pas miens. J'étais sans aucun signe dans un dédale sans aucune issue, parce que j'habitais des identités d'emprunt. Tout ce que je faisais échouait, parce que l'acte était posé par un homme étranger à lui-même. Je n'avais aucune conviction et tout me tombait des mains. Je ne pouvais jeter un pétard en l'air sans que par la fenêtre il entre dans la chambre d'une brute assoupie.

J'étais un puzzle auquel je ne comprenais rien. Les modèles qu'on me présentait étaient faux. Ces mille et mille pièces ne formaient qu'un patchwork insensé et nul ne m'aidait.
Je ne comprenais pas ce que je voulais, je ne savais pas pourquoi tout échouait. Je picorais des miettes de sens au hasard de livres ou d'échanges qui n'aboutissaient qu'à d'autres peut-être. Je n'avais en moi que cette passion de parvenir au havre dont je soupçonnais l'existence en amont de ce désastre que j'étais.

Rien n'avait de sens. La violence indomesticable des émotions me ravageait, les intuitions fulgurantes que je ne pouvais expliquer, les terreurs livides d'un cœur sans écrin qui se brisait et se brisait en éléments toujours plus disparates...Je vivais les mâchoires serrées dans un monde de totale adversité. Incompréhensible. Proie de toutes les incertitudes.
Et j'étais un refuznik entêté. Je ne voulais pas commencer à vivre sans être né ! Qu'était cet être en kit dont on avait égaré le schéma de montage? L'horreur était ma compagne, mais rien ne m'aurait fait accepter un pis-aller, une personnalité d'emprunt. Je ne m'installais en rien, comme ces herbes du désert qui transportées par le vent brûlant prennent racine pour un temps là où le hasard les mène avant que de nouvelles bourrasques les arrachent et les entraînent. Mon être n'avait aucun toit, aucun abri, aucun sens, aucune continuité. Juste pour tenir sans me donner la mort dans ce no man's land j'étais une machine à consommer des pilules pour tenir vivant jusqu'à la mort.
Je ne comprenais pas comment les gens autour de moi insoucieux allaient un chemin d'évidences! Qu'est-ce que vivre ? Comment fait-on pour ne pas ressentir ce souffle de mort qui m'accompagnait du lever au coucher ? Comme fait-on pour être normal ? Comment peut-on s'intéresser à quoi que ce soit quand on est à soi-même une telle douleur et une plaie si profonde qu'on s'y enfonce jusqu'à la gorge?
L'étranger que j'étais pour moi même me persécutait. J'étais une planète morcelée qui passait d'orbites en orbites sans trouver sa course, un astre errant.

Si tard un beau jour dans ma vie, j'ai lu Arielle Adda. Quelqu'un me connaissait. Mon cas était recensé (re-sensé) d'autres pèlerins en terre ennemie arpentaient le monde sous le sceau d'une identique malédiction, et on les disait surdoués !!!

Comment tout soudain par l'effet de cette prise de conscience tous mes éléments épars ont été comme magnétisés et ont repris leur place spontanément pour faire apparaître la figure de qui suis ?
Et désormais je suis. Oh, ce n'est pas forcément l'être le plus enviable que suis. Ces tempêtes d'émotions, cet ennui perpétuel, cette course folle de la pensée que tout excite sans distinction, ce mouvement perpétuel de la pensée qui fait feu de tout bois et concasse tout, se pense elle-même, y compris en dormant, n'est pas l'identité la plus confortable, mais c'est la mienne !
Cinquante ans de souffrances ontologiques, d'exil, de désespoir, résolus d'un seul coup... Peut-être pas dans le plus grand confort - car n'est-il pas vrai que la pensée anxieuse ne se satisfait jamais de rien et continue son exténuant labour? - mais tout de même, j'existe ! j'ai une source et une cause, un but et un nom, un chemin et un sens, une histoire et une figure désormais !
Et je me dis qu'on peut toujours se plaindre, certes, mais vous qui savez de quelle famille vous êtes et depuis si jeune, ne vous plaignez pas trop de votre sort, car au moins, vous en avez un!
Fata Morgana
Fata Morgana

Messages : 20818
Date d'inscription : 09/02/2011
Age : 66
Localisation : Un pied hors de la tombe

Revenir en haut Aller en bas

Plaignez-vous de votre don, mais pas trop quand même. Empty Re: Plaignez-vous de votre don, mais pas trop quand même.

Message par Ender Dim 5 Juin 2011 - 11:13

-


Dernière édition par Ender le Jeu 20 Oct 2011 - 18:56, édité 1 fois
Ender
Ender

Messages : 80
Date d'inscription : 31/05/2011
Age : 51
Localisation : Région Parisienne

Revenir en haut Aller en bas

Plaignez-vous de votre don, mais pas trop quand même. Empty Re: Plaignez-vous de votre don, mais pas trop quand même.

Message par Fata Morgana Lun 6 Juin 2011 - 8:36

Alors oui, c'est une grande joie, de pouvoir à 38 ans découvrir que je ne suis pas menacé par la folie, une épée de Damoclès en moins au dessus de moi, c'est une joie de pouvoir me reconnecter avec mes émotions...

Certains n'ont pas cette chance. Certains souffrent vraiment. Sont vraiment émiettés sans un point nucléaire stable qui leur permet de s'affirmer soi. Nous endurons c'est vrai des distorsions dans notre sensibilité quand elle est trop vive et raffinée, on raye de l'ardoise sous notre nez, on froisse du papier à nos oreilles. Eux ne sentent pas ces violences involontaires qui menacent notre sensibilité. Le monde par sa présence de force exerce sur nous une grande violence. Mais nous savons pourquoi. Nous pouvons nous montrer bienveillants parce que nous savons que la plupart ne résonne pas si fortement.
Comment peut-on s'aimer quand on ignore qui on est ? Quand l'image qu'on nous a renvoyé de nous est celle d'un inadapté fragile en proie aux effondrements ?
Mais nous savons désormais: nous sommes pleins de résonateurs, de cordes sympathiques qui multiplient nos ressentis, nous savons comment et de quoi nous protéger, nous savons que nos intuitions sont fondées et notre sensibilité exacerbée devient notre alliée parce qu'elle nous éclaire.
Nous pouvons nous émerveiller, nous courons à nos glânes de fureteurs toujours à l'affut et cela nous enrichit. Nous pouvons nous éprendre de mille sujets. Notre progression se fait en étoile. Nous avons un pôle en amont de nous-mêmes, nous pouvons rompre avec notre environnement pour accéder à une compréhension plus fine de notre être. Ce ne sont pas des rêveries avortées. C'est un apex duquel nous vient un tropisme fort et qui nous permet un devenir. Nous pouvons ambitionner la sagesse!
Nous avons une richesse. Mais il y a un prix à cette sagesse: renoncer à nous modeler sur le système, sur des valeurs désuètes pour répondre à cet impératif catégorique: trouver la plénitude de l'intuition, être à demeure en nous-mêmes, trouver la paix de ceux qui se connaissent et s'acceptent.
Don = responsabilité.

Fata Morgana
Fata Morgana

Messages : 20818
Date d'inscription : 09/02/2011
Age : 66
Localisation : Un pied hors de la tombe

Revenir en haut Aller en bas

Plaignez-vous de votre don, mais pas trop quand même. Empty Re: Plaignez-vous de votre don, mais pas trop quand même.

Message par Tiwële Lun 6 Juin 2011 - 18:22

Être diagnostiqué tôt ne veut strictement rien dire.
J'ai été reconnue surdouée à 4 ans, mise au courant dans les grandes lignes, mes parents se sont informés, ont essayé de s'en accomoder, de m'aider à m'épanouir pleinement.
Et ce n'est pas pour autant que j'ai eu une vie dorée.
On ne se rend pas vraiment compte, à 7 ans, que la différence qui nous tord le ventre est juste devant nos yeux.
On souffre de la différence au même titre, dans la même incompréhension. On se fait rejeter au même titre.
On oublierait presque que l'on a le cerveau qui turbine et on ne sent même pas l'étiquette qu'on nous a collé.
Je n'ai redécouvert, vraiment pris conscience de mes rayures qu'au début de l'adolescence, et vécu cette redécouverte au même titre qu'une personne venant de l'apprendre.
La vie heureuse vient également de l'environnement, bonne école, bons profs, bonnes personnes rencontrées...
Le seul facteur de la découverte précoce n'est pas le facteur le plus important, à mon sens...
Tiwële
Tiwële

Messages : 254
Date d'inscription : 21/12/2010
Age : 27
Localisation : Paris

Revenir en haut Aller en bas

Plaignez-vous de votre don, mais pas trop quand même. Empty Re: Plaignez-vous de votre don, mais pas trop quand même.

Message par Fata Morgana Lun 6 Juin 2011 - 18:51

Un des plus vieux avec sans doute la plus jeune...
j'ai été beaucoup hospitalisé et j'ai failli mourir plusieurs fois à cause des traitements. En partie aussi à cause de ma différence j'ai été un enfant-martyr, et j'ai dû être sous médicaments toute ma vie. Je n'ai jamais pu travailler. Imagine donc le choc éprouvé quand je me reconnais pour la première fois dans une foule d'articles concernant les surdoués! Very Happy
je préfère ne pas penser au temps perdu, sur lequel je n'ai plus de pouvoir... Mais simplement, je me serais épargné des situations intérieures plutôt extrêmes si on m'avait orienté plus tôt dans cette direction.
Fata Morgana
Fata Morgana

Messages : 20818
Date d'inscription : 09/02/2011
Age : 66
Localisation : Un pied hors de la tombe

Revenir en haut Aller en bas

Plaignez-vous de votre don, mais pas trop quand même. Empty Re: Plaignez-vous de votre don, mais pas trop quand même.

Message par marco31 Lun 6 Juin 2011 - 23:50

Ah ben je suis content de lire tout ça. Le forum est bien l'endroit du "parler de soi" mais de temps en temps, trop de plainte fatigue. Et savoir qui nous sommes, c'est effectivement drôlement bon pour l'humeur. Moi, si j'ai su que j'étais surdoué petit, c'est parce qu'on me le renvoyait (et parce que je passais des classes : ) et il m'a fallu bien bien longtemps pour lire JSF et qu'un phénomène de révélation se fasse.

C'est un peu ça le problème : il ne s'agit pas seulement qu'on te la dise, ta douance, mais il faut aussi que tu sois en situation de l'entendre, et dans un contexte qui te permette d'en faire quelque chose, de cette révélation. Et que cet élément de ton identité ne s'évapore pas avec les années. Alors, précoce, tardive, la révélation... Le "bon" moment peut mettre du temps à venir et on peut avoir bien mal en attendant. Et oui, une fois qu'on sait et qu'on s'en sort, don et responsabilité vont de pair.
marco31
marco31

Messages : 319
Date d'inscription : 10/04/2011
Age : 51
Localisation : Toulouse

Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum